"Chacun des Cinq lieux (Five points) est un doigt. Quand je ferme la main, elle devient un poing".
Ne pas avoir envie de revoir un film, en particulier une réalisation de Martin Scorsese, est un mauvais signe. Gangs of New York
est, malheureusement, de ceux-là. Passionnant sur le plan historique,
décevant tant sur plan conceptuel que formel. Peut-être doit-on mettre
cela sur le compte de la longue gestation du film entre 1978 où il a été
conçu pour le cinéma et 2000-2001, période de son tournage (voire entre 1970, date à laquelle il a été imaginé et décembre 2002, date de sa sortie en salles)
? Longueur exceptionnelle qui, en l'occurrence, n'était pas
artistiquement contrôlée mais contingente, liée à la frilosité des
studios au début des années 1980, après la chute de la maison United Artists.
Herbert
Asbury, l'auteur du livre dont est tiré le film, est un historien et
journaliste des années 1920, notamment spécialisé dans le récit des
particularités historiques des villes américaines : la Nouvelle-Orléans ("The French Quarter"), Chicago ("Gangs of Chicago"), San Francisco ("The Barbary Coast").
L'intérêt de son livre sur New York, et par conséquent celui du film,
est de nous faire connaître une époque essentielle, mais occultée par
l'historiographie officielle, dans la naissance des Etats-Unis.
Depuis
l'arrivée des premiers colons hollandais protestants, en 1620, la ville
de New York a vu successivement débarquer des immigrants écossais, puis
irlandais pendant que le trafic d'esclaves fleurissait. Entre 1830 et
1890, 10 millions d'immigrants accostent à New York et la population
passe de 220 000 à 2,5 millions. L'inégalité sociale est, bien entendu,
consternante : moins de 5% de la population détient les deux tiers des
richesses. Dans ce contexte détonnant, tous les prétextes sont bons pour
opposer les hommes : naissance, religion, race ou, tout simplement
imposture. La guerre de Sécession ne viendra qu'ajouter du sang au sang.
On le voit, le tissu narratif est riche et captivant. Scorsese, probablement dans un souci d'en utiliser le plus possible, se perd entre réalité (collective) et fiction (individuelle),
au point de laisser le spectateur abruti par tant d'images et de faits.
La longueur n'est pas en cause, nous sommes habitués avec le
réalisateur, mais il manque parfois certaines transitions qui auraient
donné au film une cohérence plus forte. On est, également, indisposé par
les excès de truculence et de férocité qui ont un impact plus visuel
que conceptuel. D'ailleurs, le film parle plus aux sens qu'à l'esprit,
dans un étrange mariage entre opéra (rock) et peinture (gothique).
Nous sommes éblouis mais pas conquis. La caméra sans cesse en mouvement (sauf
dans la scène de "confession" entre Bill Cutting et Amsterdam Vallon
qui paraît, pour le coup, infiniment et avantageusement statique)
frôle la désagréable démonstration. On a même, parfois, le sentiment
d'assister à un insupportable clip aux effets désuets. Il reste que la
fin du film, qui alterne à un rythme soutenu séquences historiques et
romanesques, est assez réussie.
Daniel Day-Lewis est impérial dans la peau du Butcher. Sans sa vigueur et son authenticité de jeu, Gangs of New York serait une pâle mais fortunée (environ 100M$ de budget) reconstitution historique. Face à ce "monstre", DiCaprio est bon mais "largué". Cameron Diaz
n'arrive pas à convaincre totalement qu'elle puisse tourner dans autre
chose qu'une comédie. Dans l'ensemble, les seconds rôles sont, à part Liam Neeson qui disparaît très tôt, assez peu intéressants, noyés dans la masse de la figuration.
Une impression (le terme est ici bien adapté), au final, très mitigée donc, parce qu'un film de Scorsese
est toujours, qu'on le veuille ou non, un événement et la déception
proportionnelle à l'attente suscitée par ce projet de trente ans.
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