"... Il est possible que, tout d'un coup, l'original devienne une piètre copie."
Il devient presque banal de souligner le caractère inventif du cinéma de genre espagnol, sans doute le plus fertile du Vieux continent, depuis quelques années. Contrairement à notre académie nationale(1), les "Goya" n'hésitent d'ailleurs pas à récompenser certains de ses représentants. Présenté en première, il y a un an, au Fantastic Fest d'Austin (Texas) puis lors de la 43e édition du festival catalan de Sitges, Agnosia n'approche pourtant le fantastique que de manière asymptotique. Brillant thriller d'époque imaginé par Antonio Trashorras (co-auteur, pour son premier scénario, d'El Espinazo del diablo de Guillermo del Toro), le second long métrage du Castalludo Eugenio Mira possède la particularité d'associer un classique mais ici original triangle amoureux à l'espionnage industriel, un thème extrêmement rare(2), quoique passionnant, dans la production filmique.
Pyrénées, 1892. Un distingué auditoire germanophone arrive en calèches au bord d'un lac pour assister à une démonstration introduite par Lucille Prevert, la représentante de l'entreprise d'armement Holbein. Une fillette est invitée par son père Artur Prats à lâcher sept ballons noirs pendant que celui-ci fixe un viseur télescopique sur un fusil permettant d'atteindre très aisément ces cibles mobiles. Les coups de feu provoquent la nervosité des chevaux ; l'un d'entre eux s'échappe, bientôt abattu par le tireur. L'altercation consécutive provoque la chute et le bris du viseur. La fillette prénommée Joana, dont la front a heurté le sol en perdant brièvement connaissance, ne parvient plus à distinguer son père du collaborateur de celui-ci.
1899, à Barcelone. Une jeune homme, attaqué dans une impasse par deux individus, est conduit cagoulé dans un sous-sol pour y être interrogé. Le captif appelé Vicent relate les événements auxquels il a assisté à la suite de son engagement, onze jours plus tôt, comme valet chez les Prats. A commencer par le retour anticipé de Carles Lardín, bras droit de Prats et futur époux de sa fille. Juste à temps pour entendre le diagnostic du docteur Meissner sur le trouble cognitif dont souffre Joana et le remède qu'il propose afin de la guérir : la couper de tout stimulus en l'isolant pendant trois jours à l'intérieur d'une chrysalide. Le refus de la proposition formulée par Lucille Prevert d'investir dans son entreprise industrielle pourtant en difficulté, motivée par le procédé de lentille catadioptrique, occasionne bientôt le meurtre de Prats par deux nervis surpris dans son bureau à la recherche du secret de fabrication réputé détruit.
Plus ambitieux, sur le plan artistique, qu'Hierro (précédente production du duo M.A. Faura-Isaac Torrás), Agnosia repose d'abord sur un récit subtilement sophistiqué. Bien choisi, le contexte historique(3) qui lui sert de toile de fond renforce ce sentiment de confusion, pas seulement mentale, installé dès la séquence d'ouverture à l'origine du titre au film. Il accentue aussi, par contraste, l'impression d'efficacité de l'implacable machination mise en œuvre, principal ressort narratif du scénario. L'adresse dans la mise en scène, les qualités visuelles viennent ensuite apporter une ampleur, une gravité souvent lyrique à cet étrange, un peu baroque drame amoureux. L'interprétation raffinée de la Basque Bárbara Goenaga (titulaire d'un second rôle anonyme dans l'insolite Los Cronocrímenes) achève de nous convaincre, aux côtés d'Eduardo Noriega et de Félix Gómez, les deux faces d'une même pièce aux valeurs opposées, et de l'Allemande Martina Gedeck (Das Leben der Anderen, Der Baader Meinhof Komplex).
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1. symptomatique de la frilosité des "César" ou d'une vacance productive ?
2. vaguement exploré par Rivette (Secret défense) et Tony Gilroy (Duplicity).
3. celui de la régence assurée par María Cristina d'Autriche, consécutive à la mort prématurée de son époux Alfonso XII de Borbón, 'el Pacificador' et de l'assassinat par un anarchiste du président du conseil Canovas del Castillo.
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