"Le bordel, il est dans ta tête."
Dans l'univers cinématographique du Slovène Damjan Kozole, le drame l'emporte sans ambages sur la comédie. Certains d'entre nous se souviennent probablement de son Rezervni deli, en compétition pour l'"Ours d'or" 2003, dans lequel il abordait avec une évidente amertume le sujet des réfugiés. A nouveau produit par le complice de toujours Danijel Hocevar (Kruh in mleko, Svetat e golyam i spasenie debne otvsyakade), Slovenka exhale également, avec néanmoins un suffisant recul, un fort sentiment de désillusion individuelle et communautaire. Présenté en première au festival de Sarajevo puis à Toronto, ce film a permis à son interprète principale Nina Ivanisin de succéder au collectif des acteurs de Shiva lors de la 30e édition de la Mostra de Valencia (oct. 2009).
Etudiante sans réelle conviction en anglais, Aleksandra michetonne depuis quelques temps sous le pseudonyme de 'Slovenka' afin de rembourser l'emprunt contracté pour acquérir un appartement. Lorsque la jeune femme de vingt-trois ans arrive dans la chambre d'hôtel du client du jour, elle découvre un obèse saisi par un malaise cardiaque à la suite de la prise de deux comprimés de sildénafil. L'homme décède juste avant l'arrivée du personnel de l'établissement alerté par Aleksandra. 'Sacha' apprend peu après par son père Edo, auquel elle rend régulièrement visite en dehors de Ljubljana, qu'elle est recherchée par la police dans le cadre de l'enquête sur la mort de ce député allemand. De retour dans la capital, elle devient la proie d'un duo de proxénètes, bien décidé à lui faire rejoindre son équipe de gagneuses. Elle parvient cependant à lui échapper en requérant l'aide nocturne de son ex-amant Gregor qu'elle a pourtant récemment battu froid à deux reprises.
Sur le thème de la prostitution "domestiquée", évidemment marqué par les historiques Le Notti di Cabiria et Belle de jour, Slovenka converge plus volontiers vers le Claire Dolan(1) de l'Etasunien Lodge Kerrigan. Damjan Kozole situe d'emblée son récit à l'aune de la présidence slovène de l'Union européenne(2) ; des convois de véhicules officiels viennent d'ailleurs périodiquement le ponctuer pour nous le rappeler. Comme pour mieux souligner la plongée brutale de ces pays, jusque-là relativement "protégés", dans l'économie libérale de consommation (par la dette) et les distantes préoccupations technocratiques des représentants de cette "diversité cohérente"(!). Si la dimension formelle de cette intrigue morale fonctionne plutôt bien, c'est toutefois sous son angle emblématique qu'elle prend son sens décisif. L'opposition psychologique entre l'opportuniste, hypocrite et à peine jolie Aleksandra et son père, éternel adolescent fauché, refusant la réalité(3), ne s'appréhende-t-elle en effet pas sur ce mode symbolique ? Tout comme celle entre l'impersonnelle Ljubljana(4) et la conviviale bourgade où réside celui-ci. Sans égaler le précédent film, cité plus haut, du cinéaste, Slovenka se montre, en tout état de cause, bien plus convaincant que le néo-contemporain Girlfriend Experience.
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1. plutôt qu'avec les contes de fée parmi lesquels on trouve notamment Irma la douce et Pretty Woman.
2. premier des états membres l'ayant rejoint en 2004 à assurer ce rôle. Le tournage du film s'est d'ailleurs déroulé au cours de cette période, entre mars et mai 2008.
3. chanteur-guitariste du groupe reformé "Electrochocs" et interprète pendant la séquence finale de l'excellent "Bobby Brown (goes down)" signé par le génialissime Frank Zappa.
4. ancienne cité monarchique puis fédérative socialiste.
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