"Eh bien, vous êtes un homme libre."
Qu'est-ce que la liberté pour des "héros" anonymes (cf anecdotes) dans un univers de pauvreté, de chômage et de mécanisation de la vie sociale ? Et pourtant Modern Times est l'œuvre de Charles Chaplin la moins sombre et pessimiste de sa carrière.
Les films du réalisateur-acteur s'allongent et s'espacent. Il a fallu attendre cinq ans depuis son City Lights, il faudra patienter quatre ans pour voir The Great Dictator. Pourtant, malgré ce temps de préparation et une technique du parlant qui a presque dix ans, Chaplin persiste à proposer un film seulement sonore (bruits
divers, voix issues de machines - haut-parleur, radio..., seule la
chanson "charabia" laisse entendre, pour la première fois, la voix de
son créateur).
Inspiré en partie par A nous la liberté (1931) de René Clair, Modern Times est une charge contre le machinisme et la déshumanisation (la scène d'introduction est édifiante), contre le groupe au profit de l'individualisme. Chaplin
avait déjà, dans ses films précédents, dépeint son époque pour en faire
la critique sociale. Mais il va, avec cet opus, beaucoup plus loin et
avec davantage de force. Modern Times
reste néanmoins une comédie qui utilise un sujet sérieux pour tenter de
démasquer les faux-semblants et figurer un espoir, celle de la
générosité et de l'amour, ou, au moins, celle de l'ironie (symbolisée par le "comme on est bien en prison") et de la dérision.
Même si l'on est pas sensible à l'humour de Chaplin,
on ne peut rester insensible au charme du film. Bien qu'il soit composé
d'une série de scènes finalement sans lien véritable, prétexte à
l'enchaînement et au développement des gags, le discours social et
politique, humaniste sous-jacent de l'auteur donne une unité à
l'ensemble.
La modernité des Temps modernes est volontiers évoquée. Bien sûr, les aspects tayloriste et fordien (pas le cinéaste, l'industriel)
ne sont plus réellement d'actualité. Mais la conception mécanique de
l'homme, la dénonciation de la gestion du "facteur humain" par les
entrepreneurs en tant que "variable" technique comme une autre reste
pertinente. La peinture est criante de vérité : stress et détresse dans
le travail, chômage, inégalités et conduites délictuelles conséquentes
réprimées par une autorité policière sans nuances, voire meurtrière.
La
technique cinématographique devient, avec ce film, plus aboutie que
dans les précédentes oeuvres. La scène du restaurant, qui mêle plans
fixes et plans dynamiques, en est le meilleur exemple.
L'interprétation de Chaplin est magistrale. Le comédien fait preuve d'une palette de talents extrêmement riche : cascadeur, patineur, danseur (je pense, en particulier au ballet involontaire avec canard !),
chanteur, compositeur des musiques du film. Tout à la fois drôle et
émouvant, on est impressionné par sa force de suggestion et plus
particulièrement celle de son regard (peut-être est-ce l'une des qualités majeures du muet). Paulette Goddard, quoique charmante, est moins convaincante dans l'un des rôles féminins les moins intéressants du cinéma de Chaplin.
Si Modern Times
a connu un succès mitigé à sa sortie en salles, il ne fait aucun doute
qu'il figure aujourd'hui, malgré son âge, parmi les meilleures œuvres
du cinéma mondial.
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