Madeleine

"... We are naked!"

Qualifiée à l'époque, sans doute abusivement, de "procès du siècle", l'affaire Madeleine Hamilton Smith jugée en juillet 1857 est restée dans les annales(1) en raison de l'insolite verdict d'absence de culpabilité ("not proven", alternative au "not guilty" - innocence - singularité de la juridiction écossaise) rendu à l'égard de la jeune femme de vingt-deux ans présumée respectable. Une résolution incertaine qui, avant d'interpeler David Lean, avait alimenté d'interminables discussions ainsi que plusieurs ouvrages, essais et fictions. Au cinéma, Letty Lynton puis Dishonored Lady (le premier, adapté d'un roman, avec Joan Crawford, le second, tiré d'une pièce, avec Hedy Lamarr) s'étaient inspirés de cette affaire en la transposant. Il semble qu'Ann Todd, interprète du personnage au théâtre, ait persuadé son époux de porter cette histoire à l'écran. Premier des trois films produit par Stanley Haynes (le septième et dernier sous la bannière Cineguild), Madeleine ne convainc qu'à moitié, lesté en particulier par d'inutiles longueurs scénaristiques.

Lors de la visite de la maison sise au 7 Blythswood Square (Glasgow) avant son acquisition, Madeleine, l'aînée des trois filles de John Smith, avait immédiatement été attirée par le sous-sol. Elle y avait ensuite installé sa chambre, partagée avec sa plus jeune sœur Janet, dans la plus grande pièce. Un soir, alors qu'elle se prépare pour le dîner, un billet glissé par la fenêtre lui fixe rendez-vous à vingt-deux heures. Son père a convié un jeune ami et potentiel gendre idéal, William Minnoch de retour d'un séjour dans le Sud. Une fois l'invité parti et ses parents couchés, Madeleine retrouve brièvement son amant, Emile L'Angelier, dans la cour permettant l'accès à la porte de service. La jeune femme a l'espoir de présenter à son père l'élégant francophone mais modeste employé dont elle s'est éprise et souhaite épouser. Elle lui annonce, avant de le quitter, son prochain départ à la campagne mais promet de lui écrire. Le lendemain, James retient Madeleine à la fin du déjeuner dans la salle de réception. Il lui révèle que Minnoch a demandé l'autorisation de la courtiser. Prétextant la surprise, Madeleine préfère différer sa décision. Son père a néanmoins d'ores et déjà formulé son accord et invité le prétendant à passer quelques jours dans leur maison familiale de Rhu. Pressée par Minnoch, au terme de son séjour, de lui donner enfin une réponse, interrogée sur l'existence éventuelle d'un concurrent, Madeleine obtient qu'il ne révèle pas à son père sa persistante hésitation. Emile lui rend peu après une visite nocturne dans le jardin de la propriété surplombant le village au bord de la mer.

Si le film de David Lean place explicitement le spectateur, sans d'ailleurs lui proposer d'éléments de preuve supplémentaires, en situation de juger cette affaire, cet argument narratif et promotionnel ne constitue pas son atout majeur. L'anachronique désir de liberté sentimentale, sévère entorse aux conventions victoriennes(2) et à l'autorité toute puissante du père, fonde le drame qui s'y noue, renforcé par l'altérité sociale et linguistique qui oppose/sépare les deux amants cachés. Autre élément intéressant : la nécessité quasi permanente de "sauver les apparences" (cf l'allégorique exclamation en exergue), dont cette manie de l'apprêt qui caractérise Madeleine(3) et le Jersiais Pierre Emile constitue l'évident symptôme. Enfin, l'interprétation d'Ivan Desny (à l'apparence et au jeu situés quelque part entre Orson Welles et Clark Gable), alors au tout début de son éclectique carrière, contribue à relever le caractère d'une distribution plutôt pâlotte.

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1. comme l'est aussi le cas de parricide pour lequel l'étasunienne Lizzie Borden fut acquittée en 1893 (voir épisode "The Older Sister" in Alfred Hitchcock Presents).

2. époque de grandeur impériale et de réconciliation qui prônait la retenue sexuelle, une faible tolérance à criminalité et un strict et conformiste code de conduite sociale. En déclin au moment des événements du film, elle allait rapidement connaitre une grave crise économique et d'inévitables conflits de classes.

3. sorte d'anti-Mme Bovary qui, confrontée à une situation de malheur inextricable, préfère se suicider.