"You can always tell the winners at the starting gate."
Formidable chant du cygne créatif ou testament artistique préconscient, Once Upon a Time in America couronne magistralement la carrière d'un cinéaste unique, pourtant longtemps considéré comme mineur. Un parcours marqué par six grands films dont au moins deux chefs-d'œuvre. Un projet très ambitieux, né au milieu des années 1960 (c'est à dire avant la sortie de C'era una volta il West), poursuivi avec persévérance par Sergio Leone malgré une gestation longue, parfois même difficile. Et en partie fondé(1) sur "The Hoods" (1952), le premier ouvrage à caractère autobiographie rédigé dans sa cellule de Sing Sing par Harry Goldberg alias Grey, ex-gangster du Lower East Side de Manhattan(2). Amputé, remonté par des distributeurs et producteurs pour lesquels l'échec commercial lors de la sortie initiale fut cinglant, Once Upon a Time in America compte parmi les meilleurs polars des deux siècles réunis... et sans doute plus encore(3).
Une élégante jeune femme pénètre dans une chambre sombre ; l'interrupteur principal ne fonctionne pas. En revissant l'ampoule de la lampe de chevet, elle découvre sur le lit d'étranges perforations faite au revolver dessinant le contour d'un corps. Derrière elle, trois hommes menaçants sont apparus. Le chef lui réclame l'endroit où se cache l'homme dont il vient de briser le cadre-photo. L'ignorance répétée de la femme lui vaut d'abord d'être violemment giflée puis abattue froidement. C'est ensuite au tour de 'Fat' Moe d'être roué de coups par deux d'entre eux et un autre complice. Un pistolet dans la bouche, il livre l'information attendue par ses tortionnaires. En quittant par une sortie discrète la fumerie d'opium du théâtre chinois Chun Lao, 'Noodles' parvient à échapper à ceux qui voudraient lui faire payer la dénonciation et la mort de ses trois amis et associés Goldberg, Stein et Bercovicz, tués par des agents du F.B.I.
Après avoir abattu l'homme resté auprès de 'Moe, 'Noodles' récupère à l'aide d'une clef gardée par son ami une valise déposée dans une consigne. Au lieu de la moitié des bénéfices, environ un million de dollars, réalisés depuis la formation de leur entreprise mafieuse, il n'y trouve que de vieux journaux. Muni d'un aller simple pour Buffalo, 'Noodles' espère disparaître dans la nature. Une lettre envoyée trente-cinq ans plus tard au pseudonyme emprunté, possible menace adressée par ceux qui le chercheraient encore, motive son retour à Brooklyn et sa visite à Moe. 'Noodles' se remémore alors ses années d'adolescence, les sentiments qu'il vouait à Deborah, la jolie sœur apprentie danseuse de Moe, les petites combines et larcins opérés avec 'Patsy' Goldberg, 'Cockeye' Stein et leur cadet Dominic pour le compte de Bugsy, sa rencontre avec 'Max' Bercovicz tout juste arrivé du Bronx.
Sergio Leone et ses scénaristes ont su donner à ce récit d'amitié, d'amour et de trahison(4) une ampleur dramatique, opératique même très particulière pour le genre en question. Une singularité que ne peuvent revendiquer, malgré leurs qualités, The Roaring Twenties de Raoul Walsh, proche sur le plan narratif, The Sting de George Roy Hill ou GoodFellas de Scorsese(5). La reconstitution des époques, la sophistication scénaristique (la relation imbriquée en plusieurs flash-back couvre trois décennies non consécutives), la finesse et l'adresse de la mise en scène impressionnent. Mais elles n'ôtent rien, bien au contraire, à la prédominance de l'histoire, collective et personnelle, tour à tour savoureuse ou amère, paisible ou violente(6). Indissociable, la partition composée par Ennio Morricone est sans doute l'une des plus belles, subtiles que le musicien ait écrites. Les interprétations des nombreux acteurs sont à l'avenant, avec une mention spéciale évidemment pour Robert De Niro, ses deux principaux partenaires James Woods et Elizabeth McGovern(7) ainsi qu'à la remarquable jeune débutante au cinéma Jennifer Connelly.
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1. l'influence du "Martin Eden" de Jack London (que le jeune 'Noodles' lit aux toilettes) et de "The Great Gatsby" signé par F. Scott Fitzgerald est sensible.
2. rencontré par le cinéaste en 1968.
3. la dimension, la qualité de l'ultime réalisation de Leone lui permet de s'affranchir du film de gangsters et de rivaliser avec The Godfather... que la Paramount voulait d'ailleurs le voir diriger.
4. plus que rêverie psychotrope selon l'explication fournie, sans doute par provocation amusée, par Leone à un spectateur d'une première séance.
5. a fortiori King of New York et le Carlito's Way de De Palma.
6. la cohérence de la dernière rencontre entre 'Noodles' et 'Max' m'a néanmoins toujours un peu gêné.
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