"How long's forever?"
L'immortalité a principalement été abordée par la littérature et le cinéma de manière métaphorique ou mythique. Elle sous-tend par exemple la légende vampirique de Bram Stoker ; Oscar Wilde et Aldous Huxley ont eux développé ce thème très différemment mais sous un angle identique, celui de la jeunesse éternelle. Elle est aussi le facteur saillant de plusieurs des récits utopiques de René Barjavel(1) ainsi que du futuriste Zardoz ou du contemporain-post-médiéval Highlander. Le scénario imaginé par Jerome Bixby(2) à l'origine de ce posthume The Man from Earth possède la particularité d'être à la fois plus universel, philosophique et surtout déconcertant.
Après dix ans d'enseignement dans une université, John Oldman met délibérement un terme à sa charge en histoire et s'apprête à déménager vers une autre localité. Quelques uns de ses collègues lui rendent une dernière visite assortie d'un impromptu dîner d'adieu à l'initiative de Harry, professeur en biologie. Dan, Sandy et Edith, laquelle remarque, parmi les caisses et objets autour du pick-up de John, un tableau dédié à un certain Jacques Borne ressemblant à s'y méprendre à un Van Gogh, arrivent les premiers. Ils interrogent leur ami sur les motifs de cette démission inattendue, ce départ précipité et son lieu de destination sans obtenir de réponses précises. Ils sont peu après rejoints par l'archéologue Art accompagnée par une étudiante, Linda Murphy. Un burin du Magdalénien, acquis dans une brocante selon John, intrigue Dan. Pressé à nouveau de donner une explication, John accepte tout en redoutant leur réaction. Il demande d'abord à quoi ressemblerait aujourd'hui un homme du paléolithique né il y a cent quarante siècles et la cause plausible d'une existence aussi durable. Puis il déclare avoir navigué avec Christophe Colomb évoqué par Harry, affirmation d'abord prise pour une mauvaise blague mais soutenue par John. Le constat par son entourage qu'il ne vieillit pas provoque ses départs périodiques. John raconte alors certains des souvenirs de sa très longue histoire.
"We're all here trapped by your story..." Une impression également ressentie par les spectateurs de cet étonnante fiction scientifico-conceptuelle, quasi huis clos dramatique animé par le bouleversement dialogué des connaissances, des convictions et des croyances(3). L'ingénieux postulat fantastique, sorte de jeu de rôle absolu, sur lequel repose The Man from Earth n'a rien d'artificiel ; il vise à remettre l'homme, le témoignage "vivant" au cœur d'une réalité et d'un processus historiques placés depuis la nuit des temps sous diverses influences idéologiques. Et de provoquer, ipso facto, l'incompréhension, l'inquiétude voire l'hostilité des tenants les plus attachés aux doctrines officielles. Le casting sobre et resserré (au sein duquel Tony Todd se distingue néanmoins), la réalisation sans fioritures de Richard Schenkman servent plutôt avec efficacité le scénario de Jerome Bixby qui rappelle, à quelques égards, l'adaptation du K-PAX de Gene Brewer par Iain Softley. A voir... sans aucun doute !
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1. des auteurs auxquels Simone de Beauvoir et Jorge Luis Borges pourraient, entre autres, être également ajoutés.
2. romancier de science-fiction décédé en avril 1998, co-scénariste notamment de "It's a Good Life" de la série The Twilight Zone, de Fantastic Voyage et de quatre épisodes de Star Trek.
3. à travers une thèse "hérétique" d'inspiration nietzschéenne.
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