"... Je n'ai pas spécialement envie de vivre."
Quel autre personnage, secondaire de surcroit dans le récit imaginé par Kan Shimosawa, peut se vanter d'avoir inspiré un si copieux développement cinématographique ? Outre la franchise initiale de vingt-six épisodes, débutée avec le remarquable Zatôichi monogatari de Kenji Misumi avec Shintarô Katsu, le masseur aveugle a en effet connu plusieurs autres aventures(1). Pénultième d'entre elles en date, cette transposition signée Taeko Asano (Nana) réalisée par le méconnu Fumihiko Sori (éloigné pour l'occasion du registre et des tables de Ping Pong, son premier film) mérite notre intérêt. Sans l'édulcorer, le duo d'amateurs de bande dessinée propose une vision sensiblement différenciée mais toujours piquante (tranchante !) du personnage d'Ichi interprété avec efficacité par la charmante Haruka Ayase, pourtant plus habituée aux comédies.
Aveugle et musicienne itinérante, Ichi ne porte pas secours à son homologue, dont l'amant d'un soir refuse de lui rémunérer ses charmes, rouée de coups par le déloyal individu et ses deux complices. La jeune femme attire rapidement la convoitise du trio de voyous ; sur le point d'être à son tour brutalisée, elle doit un provisoire répit à l'intervention d'un jeune samouraï. Incapable de dégainer son sabre, le sauveur improvisé offre alors en vain d'acheter le renoncement à leur proie de ces incidents antagonistes au moyen d'une lettre de change de dix ryos. Ichi s'interpose, pourfendant l'un après l'autre les trois agresseurs à l'aide du sabre caché dans sa canne. Suivie par Toma Fujihira, voyageur originaire de Shimousa, elle atteint le relai de poste de Bito, guidée par un garçon jusqu'à la maison de jeu. Là, son ouïe sur-développée permet à Fujihira de gagner l'équivalent de sa créance détruite lors du combat. Sur la route qui mène au temple où elle compte passer la nuit, Ichi défait en un instant, sous les yeux de celui-ci et du garçon nommé Kotaro, cinq membres de la bande de Banki, bien décidés à récupérer leurs mises empochées par le faux chanceux. Pris pour l'auteur de cet impressionnant exploit, Fujihira est engagé comme protecteur par Toraji, le fils du maître du clan Shirakawa.
En devenant une femme, Ichi délaisse assez naturellement la profession de masseur au profit de celle de goze formée au maniement du shamisen. Mais il(elle) n'a fort heureusement rien perdu à l'art, si caractéristique et perfor(m)ant, du iaidô. Cette intersexualité (scénaristique non biologique !) a d'ailleurs été pour ainsi dire tentée dès 1969 (une année sans Zatôichi) avec Mekura no oichi monogatari... dans lequel Yoko Matsuyama tenait le rôle principal d'Oichi (!) issu d'un récit de Teruo Tanaka. En revanche, l'intrigue du film solidement réalisé par Fumihiko Sori associe à cette vulnérabilité supplémentaire une quête objective quoique incertaine absente dans la série originelle, motif à plusieurs flash-back dans lesquels l'enfance du personnage est évoquée et à une estimable exploration plus psychologique et moins spirituelle(2). Aux côtés de Takao Ohsawa, Haruka Ayase offre une belle prestation, faite de cet étonnant mélange de retenue et de fulgurance, dont la qualité doit être soulignée à l'égal de sa grâce.
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1. narrées au cours des quatre saisons (1974-1979) d'une série télévisée, de la version de et avec Takeshi Kitano puis celle récente de Junji Sakamoto avec Shingo Katori dans le rôle-titre. Sans oublier le gekiga (1967) du mangaka Hiroshi Hirata et l'adaptation théâtrale de Takashi Miike en 2007.
2. aux différents sens du terme.
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