"Pourquoi tu n'aurais pas ce qu'ont tous les autres ?"
Initiée sur de solides bases, la collaboration entre Rainer Werner Fassbinder et le producteur Peter Märthesheimer se poursuit d'abord à la télévision. Succédant aux drames romanesques Martha et Angst vor der Angst(1), Ich will doch nur, daß ihr mich liebt (où la peur tient également une place décisive) s'ancre plus volontiers dans une réalité contingente. Celle des révélations de détenus recueillies par Klaus Antes et Christiane Erhardt dans leur ouvrage "Lebenslänglich, Protokolle aus der Haft" paru en 1972. Dans un contexte(2) d'instabilité politique, d'enrayement de la croissance économique et d'ouverture du procès du groupe Baader-Meinhof, le cinéaste bavarois nous offre cet étrange récit, dûment circonstancié, d'une "déviance ordinaire" incarnée avec à la fois naturel et complexité par l'étonnant Vitus Zeplichal.
Maçon, Peter Trepper avait accepté de construire seul, sur son temps libre, la maison que ses aisés parents comptaient habiter une fois leur retraite prise. Le soir, il remplaçait aussi parfois son père derrière le bar du café dont celui-ci était le propriétaire. Lorsqu'il était enfant, Peter avait été sévèrement battu pour avoir volé des fleurs du jardin de la voisine Mme Emmerich et menti en offrant le bouquet à sa mère. Dans la cellule où il purge une peine pour l'homicide commis sur un commerçant, Peter évoque cette douloureuse expérience, la relation avec ses parents à une femme venue l'interroger. Il se remémore ses retrouvailles avec Erika Theiss, leur mariage. L'idée du départ à Munich pour y trouver un travail afin de ne pas être à la charge de son père. Son engagement dans une entreprise du bâtiment, sa première visite à la grand-mère d'Erika, l'accueil de son épouse six semaines après leur séparation forcée. Le premier emprunt pour financer l'ameublement de l'appartement loué par le jeune couple.
Bien qu'il s'agisse d'une adaptation "documentée", Ich will doch nur, daß ihr mich liebt constitue probablement l'une des œuvres les plus personnelles de Rainer Werner Fassbinder. Il est même possible d'y relever quelques éléments d'identification entre le fils de parents divorcés et le personnage central du film, tous deux natifs d'une petite localité de Bavière. Seulement implicite, la narration rétrospective crée chez le spectateur une immédiate (et d'évidence volontaire) confusion. L'inestimable savoir-faire de Fassbinder, chez lequel les situations, cadres et dialogues sont toujours signifiants, consiste notamment à créer du sens à partir d'éléments apparemment épars, allusifs(3) ou symboliques. La crainte et le non-dit conditionnent ce drame (social, psychologique ?) au moins autant que l'exploitation, la dépendance financière et affective, le rôle du père(4), la normativité ou encore le caractère transactionnel des relations humaines. L'Autrichien et presque débutant Vitus Zeplichal savait-il enfin qu'il obtenait là le rôle majeur de sa carrière ?
___
1. tous deux avec Margit Carstensen qui tenait déjà le rôle-titre dans Die bitteren Tränen der Petra von Kant.
2. distingué et influencé également par Die Verlorene Ehre der Katharina Blum oder de Volker Schlöndorff.
3. une phrase interrompue, prononcée par "Vater" dans la première séquence ayant pour décor le café paternel, se révèle à ce titre décisive pour l'appréhension des enjeux du drame en gestation. Le "statut" (psychologue, enquêtrice, écrivain...) de la femme à laquelle se confie Peter demeure aussi très longtemps flou.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire