"On essaie juste de rester vivant."
Cette œuvre se situe dans la dernière partie du "siècle de cinéma" d'Henry King. Le metteur en scène est un de ces touches à tout de génie d'Hollywood. Du muet en noir et blanc au Cinemascope,
du mélodrame au film de guerre ou de pirates, de la comédie, parfois
musicale, au western, il n'y a quasiment pas de maillon faible parmi ses
plus de cent réalisations. Avant-dernier des westerns de ce sudiste né
en Virginie, onze ans après Jesse James (la série s'achèvera avec The Bravados en 1958, toujours avec Gregory Peck) The Gunfighter
est l'une des pièces maîtresses de sa filmographie. Un remarquable
portrait de "caractère" en évolution, classique et en même temps d'une
grande modernité, dont King s'est souvent fait une spécialité.
Jimmie Ringo (Gregory Peck)
est un hors-la-loi repenti et le tireur le plus rapide de l'Ouest. Sa
réputation en fait un mythe suscitant curiosité, admiration ou
indignation. Il est aussi, en permanence, défié par ceux qui
ambitionnent de prendre sa place de meilleur gâchette du pays. Ceux qui,
jusqu'à présent, s'y sont essayé ne sont plus là pour témoigner de
l'expérience. Ringo tue, dans ces conditions, un adversaire et,
bien qu'en situation de légitime défense, est poursuivi par les trois
frères du mort, bien décidés à le venger. Après avoir privé ses
poursuivants de leur monture au milieu de nulle part, Ringo se rend à Cayenne pour voir Peggy (Helen Westcott),
sa compagne et son jeune fils qu'il n'a pas vus depuis longtemps. Le
shérif de la ville s'avère être un ancien compagnon d'aventures, Mark Strett (Millard Mitchell). Face au refus de Ringo de quitter la ville sans au moins tenter de voir Peggy, Strett se charge de transmettre la demande à l'intéressée. Celle-ci refuse d'abord, puis, sollicitée à nouveau par Molly (Jean Parker),
une chanteuse de bar et une amie du couple, finit par accepter cette
brève entrevue. Entre temps, Cayenne est dans tous ses états. Les
enfants désertent l'école pour apercevoir la légende vivante, les femmes
de la ville manifestent pour réclamer le départ du bandit et un jeune
blanc-bec, Hunt Bromley (Skip Homeier), provoque Ringo
en duel. De leur côté, les trois poursuivants initiaux, après une
longue marche forcée, ont trouvé de nouveaux chevaux et se dirigent vers
la ville.
Incontestablement un très grand film, peut-être moins percutant que le High Noon de Zinnemann de 1952, mais construit à partir d'un scénario classique mais solide*. Comme High Noon, The Gunfighter
est un compte à rebours et un rendez-vous avec le destin. Mais,
contrairement à lui, sa tonalité est plus grave et sa fin respecte moins
les canons habituels imposés par les studios. Belle réflexion sur
l'ascension, la célébrité et la chute (dans un domaine qui ne pardonne pas !), le film de King possède une trame à la fois simple et dense. S'y mêlent la tentative (malheureuse)
d'inverser le cours de sa vie tout en étant contraint de suivre les
règles de celle que l'on veut abandonner, tout simplement pour survivre
et l'inconfort d'une position superlative qui relativise les ambitions
et illusions qui y ont mené. Parmi les nombreuses scènes fortes qui
mettent en relief cette thématique, celle de l'embusqué qui souhaite
venger la mort de son fils en tuant un innocent, seulement coupable de
sa notoriété, l'amusant échange entre Ringo et les suffragettes
de la ville ignorantes de son identité ou encore la brève rencontre au
bar avec un jeune éleveur qui ouvre au héros de paisibles et
encourageantes perspectives qu'il n'avait pas encore formalisées. Avec,
en toile de fond, comme un présage fatidique, la mort de l'ami, l'ancien
complice et le compagnon de Molly, Bucky, une fine gâchette lui aussi, abattu dans le dos. Qui mieux que Gregory Peck pouvait incarner ce personnage à la fois héroïque et désabusé qu'est Ringo
? Avec sa moustache de bon père de famille, il est, comme dans la
plupart de ses interprétations comparables, formidable de sobriété et de
vérité. Il retrouve son très bon partenaire de Twelve O'Clock High, le précédent film de King, Millard Mitchell. Karl Malden,
absent des écrans depuis près de trois ans pour cause de théâtre,
assure avec talent un second rôle de tenancier du bar, lieu central de
l'action.
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*sélectionné aux Academy Awards ("Oscar" attribué aux Anhalt pour Panic in the Streets de Kazan) et aux Writers Guild of America 1951 (meilleur script de western, récompense dévolue aux scénaristes de Broken Arrow de Delmer Daves).
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