"Ici, on avale si c'est sucré, on crache si c'est amer..."
Découvert pour nombre d'amateurs de cinéma asiatique à l'occasion de la rétrospective organisée par la Cinémathèque française en novembre-décembre 2006, Hanyo n'a, plus d'un demi-siècle après sa production, toujours rien perdu de son caractère insolite et intrigant. Le huitième film (et premier volet d'une variation en trois mouvements, complété par Hwanyeo puis Hwanyeo '82) du Coréen Kim Ki-young
se situe en effet à la lisière de genres disparates, réussissant contre
toute attente leur synthèse sous l'apparence d'un excentrique,
finalement "fabuleux" thriller domestique(1). A bien des égards, l'ancien étudiant en médecine représente d'ailleurs sans doute le plus bunuélien(2) des cinéastes extrême-orientaux. Avec Chungyo notamment, Hanyo en constitue une preuve assez (é)patente.
Parce qu'elle a transmis, avec la complicité de sa collègue et amie Cho Kyung-hee, un billet doux au directeur de chorale M. Kim, l'ouvrière Kwak Seon-yeung est convoquée par la surveillante de l'usine et exclue pendant trois jours. Après cet incident, Cho se porte candidate aux cours particuliers de piano proposés par Kim
destinés à consolider financièrement l'installation de sa famille dans
une plus vaste maison. Sollicitée par son professeur, elle trouve parmi
les employées une jeune femme chargée de suppléer pour les tâches
ménagères l'épouse de celui-ci, couturière à domicile et presque au
terme de la grossesse de leur troisième enfant. Le décès de Kwak est peu après annoncé à l'usine. Au cours de l'enterrement auquel il assiste avec Cho, Kim est fustigé par la mère de la défunte. Le soir, Cho
lui avoue être amoureuse de lui. Lorsqu'il la repousse, elle le menace
en vain. Depuis le balcon, la servante a discrètement assisté à la
scène.
"Les rats mourraient. Mais ils avaient têtes humaines." Un cauchemar prémonitoire fait par Mme Kim
peu après l'entrée en service de la servante et son installation dans
la nouvelle demeure familiale. Drame psychologique balayé par
d'irrésistibles tensions érotico-horrifiques(3), le récit est sans cesse parcouru par l'obsession (ou la dévotion)
amoureuse, la culpabilité et la lâcheté masculine ; les sentiments, en
particulier la sacralisation de la famille, y paraissent également
galvaudés, pervertis par la consommation. Avec Hanyo, Kim Ki-young
propose en quelque sorte une reformulation du film-noir, sans flic ni
voyou mais où la figure de la femme-fatale tient toujours une place
essentielle et décisive. Le potentiel interprétatif de la jeune
débutante Lee Eun-shim n'a pourtant, élément curieux, plus jamais été exploité au cinéma. La relative discordance (consciente ?) du scénario(4) participe au trouble général que suscite le film. Sans preuve formelle d'une influence objective du cinéma de Kim Ki-young sur son cadet Park Chan-wook,
les deux cinéastes partagent néanmoins, à l'évidence, une proche
fascination pour une certaine cruauté violente et morbide. C'est
toutefois Im Sang-soo qui, il y a deux ans, en a signé une libre adaptation.
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1. plus que "mélodrame baroque", label idio-matique affublé par certains.
2. en 1960, le réalisateur de Susana quitte le Mexique pour retourner en Espagne y diriger Viridiana.
3. amplifiées par une bande originale percutante et souvent atonale.
4. les désirs, velléités (en premier lieu ceux de Cho) et enjeux ne sont en effet jamais très clairs.
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