"We'll stay. And we won't compromise."
A la fin des années 1940, le western connait une inflexion décisive. Dans la foulée un peu différée du Buffalo Bill de Wellman puis du Fort Apache de Ford, deux productions sont mises en chantier dans lesquelles la représentation de l'Indien change assez significativement : Broken Lance (Fox) d'Edward Dmytryk et Devil's Doorway d'Anthony Mann pour la MGM.
Toutes deux mettent en avant un personnage de métisse doté de qualités
comparables à celles des héros habituels du genre. Signé par Guy Trosper(1),
le scénario du second se montre toutefois plus énergique dans sa
condamnation de l'ostracisme et de l'inégalité des droits. Contrairement
au premier, Devil's Doorway
n'attira néanmoins pas le public de l'époque, au moins en partie à
cause d'un inaccoutumé dénouement malheureux. Un attribut aujourd'hui
moins décisif, voire même plus intéressant si l'on tient compte d'autres
spécificités de ce film.
Un soldat arrive en ville et pénètre dans le "Big Horn Saloon". De retour chez lui au Wyoming, Lance Poole, sergent-chef démobilisé de la cavalerie unioniste de Pennsylvanie, est reconnu par Bob le barman puis salué par Zeke. Au bar, un inconnu lui exprime sans raison apparente son antipathie. Il s'agit de l'avocat Verne Coolan
qui le sait être le fils d'un indien shoshone, lequel vient d'ailleurs
l'accueillir. Installés depuis longtemps à "Sweet Meadows", herbeuse
vallée au milieu des montagnes, Poole alias 'Broken Lance' et
son père y élèvent du bétail avec l'aide de quelques membres de leur
tribu. Le vieil homme décède peu après. Quelques années ont passé ;
l'exploitation bovine se développe de manière fructueuse. Des lois
ségrégationnistes ont été votées, telle l'interdiction de servir de
l'alcool aux indiens dans les saloons. Poussé par Coolan, un individu intéressé par "Sweet Meadows" tente en public et au revolver d'intimider Poole. Une violente bagarre les oppose dont celui-ci sort blessé mais vainqueur. Poole confie alors à l'avocate Orrie Masters
le soin de lui obtenir la concession, désormais nécessaire, de ses
terres. Requête considérée comme irrecevable par les autorités en raison
de l'origine ethnique du demandeur.
Est-ce parce qu'il est réalisé par Anthony Mann associé pour cette sixième et ultime fois au très talentueux John Alton à la photographie, Devil's Doorway
possède parfois de faux airs de film-noir. En particulier lors de la
scène de bagarre dans le saloon avec laquelle se noue la deuxième
partie. Une singulière hybridation absente du précédent western de Mann, l'excellent et plus classique Winchester '73 éclairé par William Daniels (The Naked City). Volonté délibérée du scénariste natif du Wyoming(2),
du producteur et du réalisateur ou atmosphère induite par ce récit
jusqu'au-boutiste ? Il y existe en tout cas une conjugaison d'éléments
narratifs (héroïsme militaire, discrimination - ou préjugés contre
lesquels Poole n'est d'ailleurs pas prémuni - et dépossession légale...)
qui contribue à l'intérêt de cet atypique western hollywoodien. Surtout
lorsque l'on sait qu'il préfigure, d'une certaine façon, l'émergence du
mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Ces atouts distinctifs
rendent, au passage, les critiques à l'égard du choix de Robert Taylor pour incarner un Indien plutôt dérisoires. Les deux personnages féminins, surtout celui tenu par Paula Raymond(3), se révèlent en revanche faibles, presque contre-productifs au cœur d'un casting assez solide composé notamment du distingué Louis Calhern(4), ici venimeux à souhait, d'Edgar Buchanan (Fred Lewis dans Shane) et du comédien Fritz Leiber (aperçu, entre autres, chez Dieterle, Lang et Chaplin) dans son dernier rôle.
___
1. nommé à cette occasion pour la première des trois fois aux Writers Guild of America Awards.
2. dont le surnom et la devise sont respectivement : "Equality State" et "Equal Rights".
3. la future partenaire de Dick Powell dans le polar The Tall Target tourné par Mann (également avec Marshall Thompson) était elle-même fille d'avocat et ancienne étudiante en droit !
4. aussi à l'aise dans Duck Soup que dans Notorious, nommé l'année suivante aux "Golden Globes" et aux "Oscars" pour son rôle principal dans The Magnificent Yankee.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire