Si l'on ne devait citer qu'une seule représentation de la folie meurtrière au cinéma, il faudrait assurément désigner Angst (littér. "peur"),
figuration sans doute la plus saisissante et "aboutie" de ce grave
dérèglement mental. Les tueurs en série, psychopathes et autres fendus
de lames en giallo et slasher mineurs ou majeurs n'y manquent pourtant pas depuis près d'un demi-siècle. Le second film et unique long métrage de fiction(1) de l'Autrichien Gerald Kargl(2),
quelque part à la croisée du drame psychologique et de la production
crimin-horrifique, demeure néanmoins dans les annales en raison de sa
profonde singularité, de la frénétique violence mise en scène (lui ayant d'ailleurs valu à l'époque en France l'une des dernières classifications X).
Mais aussi et surtout de la combinaison de plusieurs autres facteurs
parmi lesquels la vigoureuse et névrotique composition de son
compatriote Erwin Leder (interprète, deux ans auparavant, du chef-mécanicien surnommé 'le Fantôme' dans Das Boot).
Un
individu est libéré, à midi sonnante, de la prison où il a purgé dix
ans de réclusion pour l'assassinat d'une vieille femme, laquelle faisait
suite aux quatre années de détention pour la tentative de meurtre de sa
propre mère. Une fois dans la rue, l'homme sait déjà qu'il va très vite
récidiver. Deux jeunes femmes maquillées, assises au comptoir de la
brasserie d'une station-service où il s'est arrêté pour dévorer une
saucisse, pourraient constituer de bien excitantes victimes. Mais il ne
souhaite pas les aborder dans cet endroit et diffère son projet. Il
monte alors à bord d'un taxi conduit par une femme. Juste avant qu'il ne
l'étrangle avec son lacet, celle-ci inquiète freine brutalement,
provoquant la fuite à travers bois du dangereux passager. En chemin, ce
dernier repère une vaste demeure dissimulée et apparemment déserte.
Après en avoir fait le tour, il brise une vitre et y pénètre. A
l'intérieur, un homme un peu demeuré en fauteuil roulant l'appelle
"Papa". Il est bientôt rejoint par sa mère et sa jeune sœur Silvia
de retour de courses. L'intrus, muni d'un couteau de cuisine, a eu le
temps de se cacher à l'étage. La découverte par la mère des dégâts de
l'effraction le pousse à vouloir s'enfuir, mais la porte est close. Il
renverse la chaise du handicapé, attache à la poignée d'une porte la
jambe de la jeune femme puis ses mains derrière le dos. Il essaie
ensuite d'étrangler la vieille dame qui lui oppose une brève résistance.
"J'avais peur de moi-même." Dès les premiers instants dans la cellule du détenu(3),
nous pénétrons dans les pensées, mélange de souvenirs et d'impulsives
émotions, du personnage central. Le sentiment d'un désastre en devenir
nous assaille précocement. En serons-nous de simples témoins ou ses
muets complices ? Au fur et à mesure que son imminence croît se
dévoilent aussi peu à peu les contours et plausibles éléments de
causalité de la déviance psychique à l'origine de sa perpétration. Une
démarche scénaristique somme toute assez classique, voire
conventionnelle. Pourtant le film de Gerald Kargl ne ressemble à aucun autre(4). Outre la prestation déjà évoquée d'Erwin Leder au milieu d'acteurs occasionnels, les contributions du Polonais Zbigniew Rybczynski(5), co-scénariste, chef-opérateur et monteur, et du compositeur Klaus Schulze(6)
à son caractère déroutant, mécanique et enfiévré sont particulièrement
significatives. Enfin, malgré ses presque trente ans d'âge, Angst demeure terriblement pertinent et impressionnant ; à déconseiller donc aux âmes trop sensibles.
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1. quoique inspiré du triple assassinat commis à Salzbourg en 1980
par Werner Kniesek. La narration du script contient également des propos
du tueur Peter Kürten alias 'le Vampire de Düsseldorf'.
2. reconverti depuis dans la publicité, les documentaires et... les films éducatifs !
3. cette logique de la narration est évidemment contrariée par le prologue additionnel.
4. sur un thème, celui de la peur, très fassbindérien, pas même au Funny Games d'Haneke parfois évoqué. Une proximité symbolique avec le Peeping Tom de Michael Powell peut néanmoins être soulevée.
5. plus connu pour ses courts métrages d'animation et clips vidéo.
6. percussionniste du groupe allemand Tangerine Dream à partir de 1969.
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