"Quand on part, on laisse quelque chose derrière soi."
Présenté en première à la 60e Berlinale, Die Fremde, le premier film de l'Allemande Feo Aladag n'a cessé ensuite d'être acclamé et primé à travers le monde. L'actrice (surtout de télévision) native de Vienne n'avait pourtant pas opté pour un sujet facile ou divertissant, preuve que le cinéma reste, quoiqu'on en dise, une discipline capable d'adhésion même lorsqu'elle se montre exigeante. La participation de l'apprentie cinéaste à la récurrente campagne de lutte contre les violences faites aux femmes organisée par Amnesty International semble avoir été l'un des détonateurs pour l'écriture de ce scénario sombre et réaliste. Die Fremde, qui succède au drame turc Sakli yüzler d'Handan Ipekçi au palmarès du cristolien Festival de films de femmes, permet notamment à Sibel Kekilli (remarquée dans Gegen die Wand et actrice occasionnelle, comme Aladag, de la série Tatort) de se distinguer une nouvelle fois.
Un jeune homme marche auprès d'une femme et d'un enfant dans une rue de Berlin. Après quelques pas, il la menace d'un pistolet puis prend la fuite. Du bus dans lequel il est monté, il assiste à une scène qui le saisit. Istanbul. Umay a choisi seule de subir une interruption volontaire de grossesse. A son retour chez la famille de son époux Kemal, son fils Cem et sa belle-mère l'attendent à l'arrêt de l'autocar. Pendant le dîner, Kemal punit Cem, usant de violence pour empêcher Umay de s'interposer. Plus tard, il lui impose d'accomplir, passivement, le devoir conjugal. Le lendemain, Umay part avec son fils pour l'Allemagne. Elle se présente au domicile de ses parents, à la fois surpris et heureux de la voir, étonnés voire un peu inquiets cependant qu'elle et Cem ne soit pas accompagnés de Kemal. Malgré la crainte de déplaire à son père Kader Aslan, hypertendu artériel, et de provoquer sa colère, elle avoue à sa famille avoir quitté son mari. Mehmet son frère aîné réagit avec emportement ; sa mère, bien que contrariée, ne peut, comme ses deux cadets Acar et Rana, lui cacher son affection. Au bout d'une semaine, Umay ne renonce toujours pas à son choix, bien décidée à trouver un emploi et, malgré la présence de Cem et ses vingt-cinq ans, à reprendre des études. Pour éviter d'être renvoyée contre son gré en Turquie, elle brule son passeport. Lors d'un second appel téléphonique, Kemal déclare ne plus vouloir reprendre sa femme mais réclame qu'on lui ramène Cem, une exigence bien sûr totalement inacceptable pour Umay.
Impressionnant de gravité et de maîtrise, Die Fremde s'inscrit dans une voie où l'ont précédé Kadosh d'Amos Gitai ou Roozi ke zan shodam, le premier film de l'Iranienne Marzieh Meshkini. On retrouve, dans le personnage de femme particulier et pourtant emblématique de ce drame, un désir de liberté assez comparable. Une volonté d'affranchissement du poids des traditions, du réconfortant, lorsque l'on s'y plie, conformisme communautaire. Et de la tutelle, toujours un peu menaçante, de la famille et des hommes. L'objectif de Feo Aladag n'est, de toute évidence, pas d'opposer modernité à archaïsme au sein d'une même société multiculturelle. Elle vise plutôt à souligner, à travers la tragique détermination de la jusqu'au-boutiste Umay, cet universel et inconsolable déchirement collectif né du sentiment irréversible de différence, de dépréciation (l'un des sens du titre) auprès de proches qu'elle voudrait pouvoir continuer à aimer. La réalisatrice laisse le temps à sa narration de se déployer, quitte à lui accorder quelques inactuelles lenteurs (moment de complicité entre Rana et son neveu...). Convaincante prestation de Sibel Kekilli, elle-même fille d'immigrés turcs, récompensée à Tribeca et solidement entourée notamment par Settar Tanriögen et Derya Alabora (Masumiyet).
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