CinéMovies: The Prowler (le rôdeur)

"I'll be seeing you, Susan!"

Ce film noir, l'un des trois(1) tournés consécutivement par Joseph Losey

au début des années 1950, serait né dans les esprits, coordonnés pour cette unique occasion, de Robert Thoeren (co-adaptateur de An Act of Murder également à l'origine du futur et excellent Some Like It Hot notamment) et du natif allemand Hans Wilhelm (collaborateur d'Ophüls sur Liebelei - non crédité au générique - et Sans lendemain). L'influence, essentielle mais à l'époque non avérée, de Dalton Trumbo

sur certains aspects de la narration de The Prowler

ne peut néanmoins être négligée. Produit(2) sous un pseudonyme par Sam Spiegel

(The Stranger) avant qu'il n'obtienne ses trois "Oscars", ce (seulement) troisième ou quatrième long métrage de Losey

longtemps invisible reste l'un des plus beaux, quoique non conformiste, exemples de son genre tout en étant assez symptomatique de l'hystérie corruptrice, confusionn(elle)iste de l'époque.

Un rôdeur a été signalé autour d'une luxueuse résidence. Deux policiers en patrouille de nuit arrivent bientôt devant cette hacienda où ils sont reçus par la femme épiée par le suspect. Les agents recueillent son témoignage, procèdent aux observations de routine et la quittent après qu'elle se soit déclarée rassurée. Le plus jeune avoue spontanément à son équipier l'intérêt qu'il porte à cette femme esseulée. Il n'hésite d'ailleurs pas à revenir un peu plus tard, officiellement pour vérifier si tout se passe bien. Ne refusant évidemment pas la tasse de café offerte. Ancienne candidate à une carrière d'actrice-danseuse, Susan est l'épouse du mature John Gilvray, célèbre présentateur d'une émission radiophonique nocturne. Lorsque son inattendu visiteur se présente à son tour, l'originaire de Terre Haute (Indiana) reconnaît aussitôt en Webb Garwood l'ancien redoutable joueur de basket-ball universitaire d'Indianapolis.

Garwood décline l'invitation de rester pour le petit-déjeuner, occasion de rencontrer le mari de Susan, mais affirme avoir l'intention de repasser parfois au cours de ses prochaines rondes. C'est en civil que Garwood retrouve une autre nuit son ex-admiratrice inconnue pour une petite collation improvisée. En cherchant un paquet de cigarettes dans un compartiment fermé à clef du secrétaire de Gilvray, il tombe par hasard sur les volontés testamentaires de celui-ci. Garwood se montre assez vite impertinent et pressant auprès de son hôtesse jusqu'à ce qu'elle le gifle à trois reprises. Susan accepte pourtant de le recevoir quelques nuits plus tard et d'accepter ses excuses. Elle succombe à sa cour sensiblement moins impérieuse ; ils deviennent amants.

On comprend aisément, en le regardant, les raisons qui font de ce polar le favori du fameux auteur James Ellroy

. A la grande simplicité du classique adultère meurtrier, celui qui alimentait déjà avec force Double Indemnity

ou The Postman Always Rings Twice

, le scénario de The Prowler

ajoute en motif funeste une seconde tromperie croisée qui donne au film de Joseph Losey

son caractère si singulier. La fine exploration de personnages solitaires et désabusés, de leur psychologie contrastée reposant elle-même sur des différences sociales marquées, sur l'équivoque entre (représentation de l')ordre et abus de confiance, violence et séduction est réellement passionnante. Il ne faut surtout pas relâcher sa concentration lors de la scène cruciale de l'ouverture du panneau mobile pleine de sous-entendus sur l'interdit, souvent à connotations sexuelles. Récente vedette du peu percutant Tomahawk

de George Sherman

, l'omniprésent Van Heflin

incarne à lui seul tout le trouble, toute la dissidence, y compris formelle du film aux côtés d'une Evelyn Keyes

(ex-Suellen O'Hara de Gone with the Wind, bientôt associée à John Payne dans 99 River Street puis à Marilyn Monroe dans The Seven Year Itch), qui tente de canaliser l'énergie intrigante de son partenaire, et de seconds rôles plutôt effacés.