"... But if there are, can't they live in peace, let them forget?"
S'il reste assurément l'un des principaux films ayant contribué à la réputation de la Carpigiana Liliana Cavani, Il Portiere di notte demeure aussi celui qui divise le plus(1). Issue de l'école documentaire, la cinéaste avait à l'époque affirmé ne pas avoir voulu faire un film politique mais raconter une histoire centrée sur des personnages ambigus afin de mettre le spectateur mal à l'aise. L'ambiguïté de cette fiction ne fait aucun doute ; le malaise peut parfois confiner à (voire occasionner) la méprise. Co-signé avec le duo Barbara Alberti-Amedeo Pagani(2), le scénario stigmatise, derrière l'excentrique relation entretenue a posteriori par une captive et son geôlier amoureux, la tentati(ve)on de disculpation, de réhabilitation d'assassins dissimulés parmi nous que leur seul aspect ne trahit pas.
Vienne, 1957. Réceptionniste de nuit à l'"Hotel zur Oper", Maximilian Theo Aldorfer n'hésite pas à se montrer serviable à l'égard de certains clients, vieilles connaissances tels la comtesse Erika Stein ou Bert, l'insomniaque danseur de ballet. Un soir se présentent le chef d'orchestre étasunien Atherton, lequel vient de diriger la première de "Die Zauberflöte" de Mozart au Volksoper, et son épouse Lucia. Celle-ci et Max se reconnaissent au premier regard, provoquant un trouble perceptible chez chacun d'entre eux. Max se souvient avoir filmé la jeune femme, alors arrêtées avec plusieurs de ses concitoyens par les nazis, à l'époque où il était sturmbannführer au sein de la Schutzstaffel. Lucia se cache dans la salle de bain lorsqu'elle entend son époux commander une bouteille d'eau minérale. Elle aussi se remémore des scènes vécues près de vingt ans auparavant. Un peu plus tard, Klaus interrompt les réflexions de Max. Lui trouvant un air étrange, ce client régulier, qui attend la visite du professeur Hans, l'interroge sur son éventuelle crainte du procès auquel il doit bientôt être convoqué. Au matin, Lucia déclare son intention de partir immédiatement. En apprenant la convocation en tant que témoin du cuisinier italien Mario, Max se rend dans le restaurant tenu par ce dernier avec son épouse Greta. Le soir, il surprend Lucia en assistant à quelques scènes de la seconde représentation du singspiel. Le lendemain, Lucia décide finalement de ne pas accompagner son mari à Francfort et de prolonger le séjour dans sa ville natale.
Le désordre, notamment socio-politique, qui régnait en Italie au cours des années 1970 a souvent été évoqué comme ferment narratif d'Il Portiere di notte. Cette implication apparaît, en particulier a fortiori, très improbable. La confusion et la nature sulfureuse qui caractérisent ce film singulier coproduit par Robert Gordon Edwards(3) procèdent davantage de la facticité des deux intrigues qui s'y nouent que d'une véritable orientation subversive. Tenter de chercher une quelconque crédibilité à la passion irrationnelle qui renaît (jusqu'à une famélique claustration) entre Max et Lucia(4) ou à la thérapie judiciaire et psychologique de groupe à laquelle se livrent d'ancien nazis relève de la gageure. Liliana Cavani et ses scénaristes s'abstiennent d'ailleurs de nous livrer la moindre piste réaliste(5). Ce sont donc quelques éléments symboliques et surtout musicaux, qui apportent un éclairage diffus : "Die Zauberflöte", combat de la lumière contre la nuit et ses illusions ou la reprise de "Wenn ich mir was wünschen dürfte"(6) par Charlotte Rampling lors de l'une des scènes les plus emblématiques du film. La présence et l'interprétation de la féline actrice britannique(7) et de son compatriote Dirk Bogarde contribuent pour l'essentiel à l'intérêt d'Il Portiere di notte.
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1. interdit pour obscénité en Italie, X-rated aux Etats-Unis, ce drame est aussi bien qualifié de "nazi chic" par le critique US Roger Ebert ("as nasty as lubricious...") que loué pour le mariage de la beauté et de la laideur qu'il célèbre, comme l'avait fait avant lui La Caduta degli dei de Luchino Visconti.
2. associés à plusieurs reprises, notamment sur l'également provocateur Una Prostituta al servizio del pubblico e in regola con le leggi dello stato d'Italo Zingarelli, avant que Pagani ne se reconvertisse dans la production.
3. ancien collaborateur de Visconti et à nouveau de Cavani pour le nietzschéen Al di là del bene e del male.
4. même si la fascination morbide, sadomasochiste prétendument exercée par la dictature nazie a plusieurs fois été illustrée au cinéma.
5. par exemple sur la nature de l'activité du commandant docteur-documentariste.
6. (si je demande ce qui est attendu) écrit et composé par Friedrich Hollaender, interprété par Marlene 'Lola' Dietrich et Greta Keller sur la bande originale de la comédie dramatique Der Mann, der seinen Mörder sucht réalisée en 1931 par Robert Siodmak.
7. après le refus de Romy Schneider de tenir le rôle. Le choix de Mia Farrow ou de Dominique Sanda a aussi été envisagé.
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