"Si jamais une guerre éclate, nous aussi, on doit tirer l'un sur l'autre ?"
Je l'avoue bien volontiers, je ne faisais pas partie des 10 868 spectateurs qui ont assisté aux projections de Boksuneun naui geot
au cours de ses trois semaines d'exploitation de ce mois de septembre
2003. Je n'étais pas non plus à Cognac, en avril dernier, pour sa
présentation dans le cadre du Festival du film policier. J'aurais, peut-être, vu différemment le précédent film du scénariste et réalisateur coréen Park Chan-wook, son premier, Gongdong gyeongbi guyeok JSA.
On est, pourtant, d'emblée séduit par la fraîcheur que dégagent ces
films "ethniques", issus de pays qui n'occupent pas les premières places
parmi les producteurs et diffuseurs de cinéma internationaux.
Librement adapté de l'ouvrage de Park Sang-yeon, "DMZ"*, Gongdong gyeongbi guyeok JSA
est, au delà de l'intrigue militaro-politique, un film sur
l'enfermement et sur l'absurde, celui d'une vision manichéenne du monde
qui reste, plus que jamais, d'actualité. Point de départ, le double
meurtre de soldats nord-coréens autour du "Pont de non-retour"
de Panmunjom qui marque la frontière entre les deux Corée. Meurtres
auxquels nous n'assisterons que dans la recréation narrative et
contradictoire des différentes dépositions. Le film est, à partir de cet
événement initial, structuré en trois parties.
La première, sérieuse, et même dramatique, est celle de la mise en place de la commission neutre
d'enquête qui permet une exposition provisoire des situations et des
faits. Le metteur en scène a choisi, dans ce contexte, de remplacer le
personnage de l'enquêteur masculin du N.N.S.C.** du roman par
une femme, de surplus métisse puisque de père coréen et de mère suisse.
L'objectif : multiplier les verrous de l'enfermement déjà évoqué ; ceux
d'un pays divisé, d'une société fermée, d'une armée cloisonnée et d'une
femme étrangère dans un milieu essentiellement masculin.
La deuxième partie, en flash-back, contrastée, alternant gravité et légèreté, voire enfantillages, décrit la naissance (possible)
d'une fraternité entre ennemis intimes. Les enjeux, à partir d'un
sauvetage, restent vagues : recrutement, volonté de s'affranchir des
limites, homosexualité... La troisième et dernière partie permet la
résolution/révélation, de l'énigme et du personnage du Major Sophie E. Lang,
grâce notamment à une mise en perspective historique qui est un des
éléments les plus intéressants du film dans cet espace restreint qui se
situe entre "cocos et anti-cocos".
La mise en scène de Park Chan-wook
est, bien que parfois maladroite, étonnante de maturité pour un premier
film. Surtout si l'on a à l'esprit la difficulté de tourner en Corée,
en particulier un film au sujet aussi sensible. L'une des références
visibles (et avouées) du cinéaste est Alfred Hitchcock. Gongdong gyeongbi guyeok JSA
est construit comme un thriller qui, comme chez le maître, sème les
fausses pistes, utilise le principe des scènes paires qui se répètent
avec un autre sens et manie l'humour (parfois salace) aux
moments les plus inattendus. Sur le plan visuel, la réalisation
technique est "globalement" maîtrisée. Précision des cadrages, variété
des plans (avec, par exemple, des travellings circulaires ou mouvements de pivotement de la caméra qui n'ont rien de gratuits) et un sens de la géométrie qui donnent un réel intérêt graphique au film.
L'interprétation
est, dans la limite de ce que peut juger un esprit occidental qui
connaît moins bien le cinéma coréen que le chinois ou le japonais, est
équilibrée. Les cinq personnages principaux sont convaincants : la
rationelle Lee Yeong-ae (major Sophie E. Lang), le trouble Lee Byung-hun (sergent Lee Soo-hyeok), le solide Song Kang-ho (sergent Oh Kyeong-pil) et les fragiles Kim Tae-woo et Shin Ha-kyun (respect. Nam Sung-shik et Jeong Woo-jin).
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*(Korea) DeMilitarized Zone
**Neutral Nations Supervisory Commission
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