"Dans cette ville, le meurtre est une forme de spectacle."
Chicago est, malgré sa "flopée" de récompenses (six Oscars et trois Golden Globes), une preuve supplémentaire de la crise d'inspiration du cinéma hollywoodien. Non content de trouver de la "matière" dans les comics (avec un succès incertain) ou dans les séries télévisées, la piste la "plus sérieuse" suivie par les studios reste le remake. Le premier film du chorégraphe Rob Marshall n'a pas moins de cinq prédécesseurs : en 1926, la pièce de théâtre de Maurine Dallas Watkins inspirée de faits divers de l'époque (les cas Beulah Annan/Vevla Gardener), le film muet de Frank Urson en 1927 et celui, parlant, de William A. Wellman en 1942 ; enfin deux comédies musicales données à Broadway, la première par Bob Fosse en 1975, la seconde, en 1996, par Walter Bobbie. Le filon n'était-il pas épuisé ? Il faut croire que la réponse apportée par Miramax ait été négative.
Autre question alors : peut-on faire du neuf à partir de l'ancien ? Les créateurs, Marshall et Bill Condon veulent nous faire croire que c'est possible (voir, à ce titre, leur commentaire du film).
Ils avancent comme arguments un traitement spécifique qui fait que les
parties chantées et dansées soient des commentaires de l'action, mettant
en scène des personnages qui, pour certains d'entre eux, ne sont pas
des artistes dans l'histoire (avocat, mécanicien, matonne... ). S'agit-il vraiment d'une innovation ? Il ne semble pas. D'autant que Chicago veut s'inscrire dans une tradition qui ne s'arrête pas à All That Jazz ou Cabaret mais avoue une filiation avec Funny Girl ou Hello Dolly !. Cela étant dit, le contenu narratif de la pièce de Watkins
est tout à la fois intéressant et séduisant, comme souvent lorsqu'il
prend sa source dans la réalité. Le crime passionnel serait, en effet,
le meilleur vecteur de promotion dans une ville comme le Chicago des
années 1920, avec, pour seul handicap, l'intense concurrence qui règne
sur ce "marché".
Qu'en
a fait le réalisateur ou, pour formuler cette nouvelle question
autrement, un chorégraphe peut-il devenir un bon réalisateur de cinéma ?
Pour Bob Fosse la mutation était (presque) réussie. Pour Marshall,
l'essai reste à transformer. Il faut pourtant lui reconnaître un
certain talent de mise en scène et de direction d'acteurs. Son film est,
certes, alerte, bien rythmé ; la mise en images est assez jolie et
parfois inventive, sans réelle faute de goût. Mais, dans une certaine
mesure, Marshall s'en sort grâce à la "pirouette" de "la vie est un show"
et les multiples télescopages entre réalité et fantaisie. Avec une
nouvelle interrogation à la clef : la scène est-elle une métaphore de la
vie ou est-ce l'inverse ? D'autant que le parti pris est celui de voir
l'histoire à travers les yeux et l'imaginaire de Roxie Hart. Sans cet artifice "primal", et une certaine lucidité critique sur le monde du spectacle (le seul dans lequel on peut collaborer en se détestant), le film serait plutôt sans relief.
La distribution, dont la constitution fut chaotique (cf anecdotes), est, un peu, une démonstration de "performances". A ce jeu, Renée Zellweger
s'en sort le mieux grâce à son naturel mutin et gouailleur. Ses
qualités de danseuse et de chanteuse sont réelles chez une absolue
profane. Sa prestation (une des meilleures de sa carrière, en attendant de découvrir ses nombreux films en production) soufre, cependant, un peu de la présence de Catherine Zeta-Jones. Laquelle joue sur un autre registre, celui du professionnalisme et de l'expérience (l'actrice chante et danse en public depuis l'âge de 10 ans).
Curieusement, sa volonté de "bien faire" apparaît parfois à l'écran, ce
qui ne l'empêche pas d'être preste et féline à souhait (malgré sa
taille de mère de famille, contraste frappant avec les autres danseuses
dans la scène du tango "Pop! Six! Squish! Uh-uh! Cicero! Lipschitz!").
Inconvénient notable du casting : le chant des deux actrices ne s'accorde pas très harmonieusement dans la scène finale. Richard Gere
endosse assez bien le costume de l'avocat sans foi ni loi, un peu
antipathique et surtout hypocrite, qui fait de son client un pantin et
d'une cour d'assises un cirque, maîtrisant l'art des claquettes comme
celui de caqueter. A souligner également le jeu tout en nuances, dans un
rôle ingrat mais beau, de ce formidable acteur qu'est John C. Reilly et la truculence de Queen Latifah en Matron "Mama" Morton.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire