"Events occur in real time."
Saison 1
"Mon besoin de fiction s'alimente à ce qui en est, de loin, la source la plus accomplie : les formidables séries américaines ....
Là, il y a un savoir, un sens du récit, du raccourci, de l'ellipse, une
science du cadrage et du montage, une dramaturgie et un jeu des acteurs
qui n'ont d'équivalent nulle part, et surtout pas à Hollywood."* Cette déclaration du cinéaste Chris Marker s'applique idéalement à 24. Et c'est, en effet, davantage le traitement et les ambiances qui font l'intérêt de cette série que l'histoire elle-même.
Eté
2000. Un homme dans sa douche du matin remarque qu'il y a autant
d'heures dans une journée que d'épisode dans une saison de série
télévisée. Cet homme, c'est Joël Surnow, l'un des deux créateurs de 24.
Il se précipite pour parler de sa découverte, tel un Newton après sa
brève rencontre avec une pomme, à son vieux compère scénariste Bob
Cochran. Celui-ci le bat froid : "C'est sympathique, Joël, ton concept**... Mais de quoi parle la série ?" "Je n'en ai aucune idée" répond Surnow. "Alors, laisse tomber !".
Fort heureusement, ils n'ont pas laissé tomber. L'histoire initiale a
été rapidement trouvée : il s'agit d'un canevas classique au cinéma,
celui d'un candidat afro-américain à l'élection primaire à la présidence
des Etats-Unis menacé d'assassinat et placé sous la protection
investigatrice de Jack Bauer, un agent fédéral responsable de la C.T.U.,
une cellule anti-terroriste. Mais les créateurs de la série ont donné
naissance à une machine folle. D'abord parce que cela suppose des nuits
sans sommeil pour leur héros, mais aussi parce la tension dramatique
doit être assez forte pour les justifier et pour captiver le
téléspectateur. Le script est écrit au fur et à mesure de l'avancement
du tournage et du montage par une équipe de cinq scénaristes, avec une
avance d'environ cinq ou six épisodes. C'est donc dans l'urgence que se
crée la série, avec parfois des surprises : la tentative d'assassinat
devait intervenir autour du vingtième épisode. Mais le contenu narratif
s'est prématurément consumé et elle a dû avoir lieu au cours de la
septième heure.
La réalisation de la première saison a été principalement confiée à Stephen Hopkins. Le format : un budget de 2,2M$ pour deux épisodes (durée équivalente d'un long-métrage) pour quinze jours de tournage. A titre de comparaison, The West Wing
est doté d'un financement trois fois supérieur. L'atmosphère est
inquiète et rude, mêlant les peurs intimes et collectives avec ses
intrigues parallèles mais imbriquées (fugue-disparition de la fille du héros, révélation de la presse de certains événements de la vie privée du candidat...) grâce à l'usage intensif du split-screen
(on soulignera, bien sûr, à ce titre, l'importance capitale des
communications téléphoniques, notamment cellulaires, la série aurait été
impossible il y a encore 10 ans). La tension (et la fidélisation de l'audience) est assurée grâce au principe du feuilleton inachevé (ce
qui aurait pu être un handicap dans un contexte concurrentiel qui
favorisait les épisodes indépendants ; et oblige à un résumé d'une
minute trente environ en début de chaque heure, 1/40 de temps, c'est
beaucoup !). C'est la menace, l'ennemi intérieurs qui sont
stigmatisés. Le rythme est rapide, voire heurté avec ses incessantes
ruptures. Le parti pris est celui de la réalité. La caméra portée (pour répondre à cet objectif... et pour des raisons de coût !)
n'est jamais en avance sur le personnage filmé ; elle est même parfois
prise de court par un changement de direction inattendu, ce qui se
traduit par des mouvements volontairement un peu brouillons. Les plans
en plongée pris d'hélicoptère rappellent ceux, courants, de l'actualité
télévisée, ce qui renforce encore ce réalisme et le sentiment d'être
témoin d'une action en direct. Les gros plans sont nombreux, avec une
utilisation intelligente de la profondeur de champs, pour tenter de
mieux capter les sentiments propres et réciproques des personnages. Pas
de flash-back artificiel, (presque) pas de raccourci***, juste la pression objective du temps qui conditionne la densité dramatique des scènes.
Kiefer Sutherland est l'homme de la situation ; énergique, efficace (notamment pour se sortir de situations délicates),
un électron libre dans un milieu hiérarchisé et protocolaire. Mais, par
certains côtés, fragile, anxieux, presque paranoïaque, il donne à son
personnage de Jack Bauer une rage et une intensité très
convaincantes qui contribuent, pour une bonne part, au succès de la
série. Son investissement dans le rôle est tel, dit-on, qu'il s'emporte
parfois sur le plateau plus que ne le lui demande le script. Toute la
distribution est d'un très bon niveau, sans élément faible.
Pour conclure, 24 est probablement la série la plus intéressante du P.A.I. (paysage audiovisuel international) produite depuis longtemps.
___
*dans Libération du 16 avril 2003
**ce concept n'est pas invention, il a déjà été utilisé et mis en scène dans The Set_Up par exemple.
***à noter que la durée effective d'un épisode n'est que d'un peu
plus de 40', l'heure n'est atteinte qu'avec les interruptions
publicitaires.
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