La Peau douce

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"Pourquoi tu ne me le dis jamais ?"

Après deux adaptations romanesques, François Truffaut fait un retour au scénario original, cette fois écrit avec Jean-Louis Richard¹ (la première de leur cinq collaborations à ce titre). Comme le plus tardif La Femme d'à côté (1981), ce quatrième long métrage puise une partie de son inspiration dans des faits divers criminels. Mais l'influence autobiographique n'est jamais totalement absente du cinéma de Truffaut. Le couple formé depuis presque sept ans par le cinéaste trentenaire avec Madeleine Morgenstern² (parents de Laura et Eva, âgées respectivement de cinq et trois ans) traversait en effet alors une crise qui débouchera peu après sur un divorce. "Séducteur compulsif"³, l'ex-critique discret et pudique s'éprenait déjà régulièrement de ses vedettes féminines⁴.

Epoux de Franca (Nelly Benedetti) et père de la petite Sabine (Haudepin), Pierre Lachenay⁵ (Jean Desailly) croise Nicole (Françoise Dorléac), une jeune hôtesse de l'air, à l'occasion d'un déplacement pour une conférence sur Balzac organisée à Lisbonne. Le directeur de revue littéraire devient, la nuit suivante, son amant. Dans l'avion qui les ramène à Paris, Nicole lui glisse une pochette d'allumettes de la compagnie aérienne sur laquelle elle a noté son numéro de téléphone. Lachenay ne tarde pas à la revoir, d'abord brièvement puis pour dîner, Nicole consentant malgré quelques réticences qu'il monte chez elle. Il l'emmène ensuite à Reims où il doit introduire la projection du documentaire Avec André Gide de Marc Allégret. Les circonstances rencontrées sur place provoquent les premières contrariétés, apaisées grâce aux deux jours suivants passés ensemble dans une auberge. Lorsque Lachenay prétexte au téléphone avoir dû rester à Reims, Franca, inquiétée par son absence prolongée, sait qu'il s'agit d'un mensonge.

Produit avec le Portugais António da Cunha Telles, ce drame "minutieux d'un adultère" tranche assez singulièrement avec les précédents films de François Truffaut. La critique et une partie du public lui ont même, à l'époque, reproché un certain "embourgeoisement". L'indécence, l'impudeur qu'il ambitionnait ouvertement semblent, de prime abord, bien timides. Surtout venant après l'éloge tragique de la relation amoureuse triangulaire qu'avait proposé Jules et Jim deux ans plus tôt. Le choix d'un personnage mature et installé renforce sans doute aussi l'impression évoquée. Malgré leur identité situationnelle, Truffaut évite néanmoins tout narcissisme ou simple complaisance à son égard. Au point peut-être de révéler (inconsciemment ?) que l'un et l'autre privilégient le jeu de séduction à l'amour ressenti. Sec, froid, désenchanté, La Peau douce reste l'un des films d'amour les moins lyriques du cinéaste parisien. L'unique association de Jean Desailly⁶ (peu apprécié de Truffaut et qui vécu un véritable calvaire sur le tournage heureusement court) avec Françoise 'Framboise' Dorléac⁷, fringante héroïne de L'Homme de Rio, constitue l'un des principaux atouts du film (hué lors de sa présentation en compétition à Cannes et qui connu un échec commercial lors de son exploitation initiale).
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1. premier mari de Jeanne Moreau.
2. fille du distributeur-producteur d'origine hongroise Ignace Morgenstern, fondateur en 1938 de Cocinor et grâce auquel Truffaut a pu débuter sa carrière de réalisateur et financer sa propre société de production, Les Films du Carrosse.
3. selon l'expression de l'écrivain Henri-Pierre Roché (auteur de Jules et Jim et des Deux Anglaises et le continent) moteur essentiel de son leitmotiv professionnel : "le travail du metteur en scène consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes."
4. à commencer par la quasi débutante Marie-France Pisier (Antoine et Colette) pour laquelle il envisageait de quitter sa femme. Cette idylle et son aventure avec Liliane Dreyfus (alias David) ont servi de matériau narratif pour La Peau douce. 
5. patronyme emprunté à son camarade Robert Lachenay.
6. adaptateur d'On ne badine pas avec l'amour (1955) d'Alfred de Musset, interprète du commissaire Clain dans Le Doulos (1962) de Jean-Pierre Melville.
7. face à la Parisienne Nelly Benedetti (future partenaire d'Eddie Constantine dans Faites vos jeux, mesdames de Marcel Ophüls). Notons la participation de Daniel Ceccaldi, de Laurence Badie, de Maurice Garrel et de la jeune Sabine Haudepin, déjà présente dans Jules et Jim.