"... If I told you this story, would you believe it?"
Est-ce l'influence induite par l'activité de son père(1), le milieu des affaires semble constituer pour David Mamet un environnement favorable aux tractations sournoises, manipulations et autres inavouables conspirations. Glengarry Glen Ross, la pièce en deux actes montée à Londres en 1984 adaptée au cinéma par James Foley, en avait été le premier exemple. Sous la houlette de Jean Doumanian (éphémère productrice de Saturday Night Live au début des années 1980, récurrente collaboratrice de Woody Allen entre 1994 et 2000), The Spanish Prisoner s'inscrit dans cette démarche narrative, le dramaturge y explorant néanmoins de nouvelles facettes dans les relations entre les différents protagonistes. Présenté en première au Toronto International Film Festival puis, hors compétition, lors du 27e Festival du cinéma américain de Deauville(2), ce drame aux (simulés ?) accents de thriller ou de film-noir est assurément l'un des trois meilleurs films réalisés par Mamet(3).
Joseph 'Joe' Ross débarque dans l'île caribéenne de St-Estèphe en compagnie du juriste George Lang, de leur patron Mr. Klein ainsi que de Susan Ricci, une jeune et nouvelle assistante de l'entreprise new-yorkaise. Après avoir allusivement présenté en réunion les mérites techniques, commerciaux et financiers du très secret procès industriel élaboré par Ross aux représentants des actionnaires, les deux cadres tentent de profiter du bref mais luxueux séjour qui leur est offert. Ross, qui espère obtenir une prime substantielle grâce à son procédé, fait la connaissance de Julian 'Jimmy' Dell. L'homme d'affaires obtient gracieusement son appareil photo jetable valorisé par le bénéficiaire mille dollars en raison du cliché sur lequel il est susceptible d'apparaître aux côtés d'une jeune femme, épouse d'un ami. Au terme d'une nuit blanche, Dell et Ross conviennent de se revoir à New York. Au moment du départ de l'hôtel, Ross se voit confier par Dell un paquet destinée à sa sœur, Mrs. Dasilva, assortie d'une invitation à dîner le vendredi suivant. Tracassé par une remarque de Susan, Ross ouvre dans l'avion le paquet mais ne trouve qu'un vieil et inoffensif ouvrage consacré à un ancien champion de tennis, dont il endommage la couverture, contenant une note de Dell aimable à son égard. Il parvient sans difficulté à le remplacer puis à le remettre au portier de l'immeuble de Mrs. Dasilva. Avant de quitter le bureau pour le weekend, Ross réitère auprès de Klein le souhait de voir son travail reconnu et récompensé. Une décision qui, selon ce dernier, relève du conseil d'administration. Aucun appel ne vient, ce soir-là, confirmer l'invitation lancée par Dell que Ross rencontre incidemment le lendemain.
"Dog my cats!" Une des multiples expressions du script(4) qui trahissent le rôle joué par la (dis)simulation et la confusion dans The Spanish Prisoner(5). L'histoire à connotation kafkaïenne (Josef était aussi le prénom du personnage central de "Der Process") imaginée par David Mamet est magistrale, implacable, presque trop déroutante. N'y aurait-il pas chez l'auteur comme une insidieuse délectation de laborantin à faire de ce noble et généreux chercheur appliqué le jouet et la proie d'une meute de cyniques vénaux(6)... tout en manœuvrant le spectateur ? Mamet semble également s'amuser à contrarier les codes de genres, en particulier à travers la figure hitchcockienne du carrousel (Strangers on a Train) ou de contrefaites femmes fatales. L'animation de l'intrigue relève surtout du trio Campbell Scott-Steve Martin-Rebecca Pidgeon (épouse du réalisateur), reléguant les participations de Ben Gazzara et de Ricky Jay(7) dans une relative et un peu dommageable pénombre.
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1. avocat spécialisé en droit du travail.
2. où la comédie dramatique de Neil LaBute, In the Company of Men au sujet un peu connexe, reçut le "Prix du jury".
3. avec House of Games et The Winslow Boy.
4. parmi lesquelles "... Never know who anybody is", "- You mistrust everybody? - No, just strangers"...
5. appellation d'une forme d'escroquerie remontant à l'Espagne du XVIe siècle, en partie inspiratrice du Flim-Flam Man d'Irvin Kershner.
6. dans un mondé régi par l'argent, lequel alimente aussi les rêves si l'on en croit une des étranges, décalées tirades sentencieuses confiées à George Lang.
7. déjà casté pour House of Games, futur second rôle-narrateur de Magnolia... et manipulateur de cartes reconnu.
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