"No, you wallow in your own soil."
De manière sans doute plus prononcée et significative encore que le cinéma dans son ensemble, le polar et le thriller criminel mutent assez radicalement (par énergique bousculade des codes) avec l'entrée dans la décennie 1970. The French Connection de William Friedkin ou Dirty Harry de Don Siegel constituent des archétypes de cette évolution(1). Produit par Joe Wizan (Jeremiah Johnson) à partir d'un scénario de Robert Dillon(2), Prime Cut contribue à sa façon au mouvement excentrique amorcé par le genre. Cette deuxième échappée hors du cadre télévisuel pour le réalisateur Michael Ritchie(3) met en avant un certain nombre de particularités, parmi lesquelles l'unique confrontation entre Lee Marvin et Gene Hackman, qui le rendent à bien des égards incomparable.
Patron d'un gang irlandais de Chicago, Jake sollicite dans un bar l'intervention de son ancien collaborateur Nicholas 'Nick' Devlin. Celui-là vient en effet de perdre successivement trois de ses hommes chargés de récupérer auprès de Mary Ann un demi-million de dollars. Murphy, le dernier d'entre eux, lui a été réexpédié par la poste sous la forme d'un chapelet de saucisses. Nick finit par accepter de prendre la route pour Kansas City en compagnie de Shay, vieux camarade d'opérations, ainsi que de trois autres hommes de main plus jeunes, Delaney, O'Brien et Shaughnessy mis à sa disposition par Jake. Arrivé au petit matin, Nick rend aussitôt une visite impromptue et musclée à Weenie, contremaître de l'usine de transformation de viande appartenant à son frère Mary Ann, dans le taudis à enseigne d'hôtel où il réside. Un peu plus tard, il s'invite avec ses compagnons dans la propriété de ce dernier. Une réception y est organisée au cours de laquelle de jeunes femmes droguées et nues, placées à l'intérieur d'enclos, doivent être mises en vente. Interrompu pendant son déjeuner, Mary Ann tente de raisonner puis d'amadouer Nick, lui proposant de lui remettre la somme due le lendemain à la foire de Jayhawker. A titre d'acompte, Nick emmène un des articles du jour, Poppy, qui lui a supplié son aide.
Primaire (sans réelle connotation péjorative) plus que bestial, Prime Cut invente en déplaçant (concrètement, le trajet dure près d'une minute trente à l'écran) son décor de la ville, cadre habituel du polar, vers l'authentique et reculée campagne étasunienne. La confrontation entre l'urbain 'Nick' Devlin et le rural, charcutier (et équivoque ?) Mary Ann(4) n'est d'ailleurs pas uniquement formelle puisque deux "conceptions" de l'être humain s'y opposent fugitivement. Le scénario développe sa bizarrerie dès la séquence d'ouverture-générique, la mécanique tenant au cours du métrage une place importante. Très dissemblable au contemporain et terne Un Homme est mort de Jacques Deray, moins incisif que Charley Varrick de Don Siegel, Prime Cut cultive sa singularité grâce aussi à la présence, aux côtés du duo Marvin-Hackman, d'Angel Tompkins (ancien mannequin déjà remarqué dans la comédie I Love My Wife) et de la Texane (et strasberguienne !) Sissy Spacek en gracile et dénudée Poppy, sa première prestation créditée.
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1. Dog Day Afternoon de Lumet viendra ensuite lui donner une nouvelle et différente impulsion.
2. notamment co-scénariste du X de Roger Corman puis de French Connection II de Frankenheimer également avec Gene Hackman.
3. auquel on doit aussi The Candidate, sorti la même année, la comédie The Bad News Bears ainsi que le téléfilm The Positively True Adventures of the Alleged Texas Cheerleader-Murdering Mom (avec Holly Hunter) plusieurs fois primé.
4. clin d'œil au personnage interprété par Dawn Wells dans le sitcom Gilligan's Island ?
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