"Where is that Yankee spirit?"
Ce mélange de dignité et de combativité a probablement encouragé le fameux scénariste-producteur(1) Nunnally Johnson (collaborateur de Darryl F. Zanuck, adaptateur notamment de The Grapes of Wrath) à porter à l'écran ce deuxième livre autobiographique d'Agnes Newton Keith. Dans une veine comparable, quoique nettement moins urbaine ou épistolaire, à celle du remarquable Mrs. Miniver de William Wyler ou de Since You Went Away de John Cromwell (dans lequel Claudette Colbert tenait déjà le premier rôle), tous deux également tirés d'ouvrages féminins, Three Came Home provoque davantage l'adhésion en raison de la finesse nuancée du portrait des personnages principaux que par son récit, somme toute assez académique pour ce thème.
Sandakan (Indes orientales), 1941. Seule Etasunienne au sein de la petite communauté britannique installée dans la capitale de Bornéo du Nord, Agnes Keith y réside depuis plusieurs années avec son époux Harry, fonctionnaire colonial, et son fils George âgé de quatre ans. Au moment où le docteur Brandy lui confirme sa grossesse, la population vit dans l'attente inquiète et se prépare à l'inéluctable débarquement de troupes japonaises. Malgré son état dissimulé à son mari et la crainte des hostilités, Agnes a préféré rester auprès de celui-ci plutôt que de partir, comme il le lui avait proposé, en compagnie de leur enfant. Réfugiée avec 'Georgie' et les autres femmes et enfants allochtones au palais du gouverneur, elle assiste aux premières brutalités de l'occupant. Elle est également reçue par le colonel Michio Suga, lecteur ravi et courtois de la traduction japonaise de son livre "Land Below the Wind", désireux d'obtenir un exemplaire dédicacé de l'édition originale. La nouvelle situation, pourtant encore modérée dans ses effets, provoque la perte du foetus. Les ressortissants étrangers, femmes et hommes séparément, sont ensuite acheminés vers des camps édifiés sur l'île de Berhala. Au bout de cinq mois, Agnes, victime comme George de la malaria, décide de se rendre à un prohibé et dangereux rendez-vous nocturne fixé par Keith à l'aide d'un message abandonné à proximité du baraquement des prisonnières.
Interrogée sur les raisons qui l'avaient poussé à écrire ses mémoires sorties en 1947 et devenues rapidement un best-seller, Agnes Newton Keith en avait apporté trois : l'horreur de la guerre, l'affection pour son mari et un témoignage destiné à son fils. S'il se montre assez fidèle (sauf le vieillissement de George, âgé de deux ans au début de la narration) au texte originel, abordant la violence avec un réalisme délibéré (quoique aujourd'hui très relatif), Three Came Home ne constitue évidemment pas l'attestation la plus puissante, tragique des abjections qui ont caractérisé la Seconde Guerre mondiale. La situation des femmes en période de conflit, la solidarité entre prisonniers et surtout celle, étrange dans la paradoxale confrontation qui s'instaure entre l'écrivaine et son bienveillant geôlier, apportent en revanche un relief significatif au film tout en assoyant son intérêt(2). Les interprétations, elles aussi contrastées, de Claudette Colbert et de Sessue Hayakawa y contribuent fortement. Cherchant à redonner de l'éclat à son statut, l'actrice née en France trouve dans ce rôle (aussi central qu'une colonne vertébrale) matière à une motivante composition(3) face à la sobre prestation de la première vedette asiatique du cinéma US, partenaire d'Humphrey Bogart dans Tokyo Joe et futur colonel Saito dans The Bridge on the River Kwai. A l'exception de la comédienne britannique Florence Desmond, réputée pour ses imitations, les personnages secondaires manquent singulièrement d'étoffe, y compris son compatriote Patric Knowles (un peu moins effacé dans The Adventures of Robin Hood ou How Green Was My Valley).
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1. un peu moins en tant que réalisateur.
2. attesté par la popularité des multiples diffusions télévisées de ce film entré juridiquement dans le domaine public.
3. la presse y avait annoncé Olivia de Havilland. Claudette Colbert clamera au réalisateur Negulesco que leur collaboration avait été la plus stimulante et heureuse expérience de sa carrière.
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