"No, no... She has told I was a genius. And when she found that I wasn't, it was too much for her."
Ernst Lubitsch devait tenir "Divorçons", la pièce des Français Victorien Sardou et Emile de Najac créée au Palais Royal en 1880, dans une certaine estime. Peu après son arrivée aux Etats-Unis, le Berlinois en avait réalisé une première version pour la Warner, Kiss Me Again, adaptation muette(1) signée par son compatriote Hanns Kräly. L'Austro-hongrois Walter Reisch et le natif de l'Ohio Donald Ogden Stewart (très bientôt oscarisé pour le récent The Philadelphia Story) sont chargés de la seconde, devant au passage permettre à Lubitsch de prendre son indépendance vis-à-vis des studios(2). Expérience éphémère puisque l'échec commercial de cette comédie romantique mettra un terme précoce à la tentative et à son association avec Sol Lesser. Un peu à l'étroit entre les très remarquables The Shop Around the Corner et To Be or Not to Be, That Uncertain Feeling souffre sans doute de la comparaison. Et si ce pur divertissement en forme de fable n'égale pas le film de Cukor déjà cité, The Awful Truth de McCarey ou His Girl Friday d'Hawks, il ne manque assurément pas de drôlerie et de charme.
Cédant à la pression de ses amies, Jill Baker se décide à consulter le dr Vengard, un psychanalyste recommandé par l'une d'entre elles, Margie Stallings. La jeune femme souffre d'un hoquet chronique, déclenché par la nervosité ou l'agacement. Mariée depuis six ans à Larry, un courtier en assurances, Jill commence à croire que son couple, pourtant présenté comme le symbole du bonheur par une revue, pourrait être à l'origine du phénomène diaphragmatique. Dans la salle d'attente du dr Vengard, elle rencontre un étrange individu, individualiste et dégoûté par ses semblables. Celui-ci l'emmène dans une galerie pour lui montrer le portrait conceptuel de lui qu'a réalisé une artiste. Alexander Sebastien est lui-même pianiste, mais inhibé car incapable de se produire en public. Jill l'invite au dîner organisé par son époux afin de convaincre Kafka, un industriel d'origine hongroise, de souscrire chez lui ses contrats d'assurance. Larry prend Sebatien, arrivé en avance, pour l'un des collaborateurs du patron des matelas Universal et des meubles United récemment fusionnés. Après le repas, l'interprète accepte, contre toute attente et à la demande de Jill, d'exécuter un long récital privé, empêchant ainsi les discussions d'affaires.
Sans figurer parmi les multiples chefs-d'œuvre d'Ernst Lubitsch, That Uncertain Feeling propose une originale et amusante alternative aux nombreuses productions abordant des thèmes identiques(3). Pétillant, gentiment phallocratique, présupposant comme radicalement hermétique et/ou indomptable la psychologie des femmes, il illustre avec humour le dicton populaire "ailleurs l'herbe est plus verte" (titre d'une romance britannique de l'Etasunien Stanley Donen, elle aussi tirée d'une pièce). Lubitsch n'a rien perdu de sa fameuse "touch" composée avec subtilité, entre autres, d'élégance, de cynisme ou d'ironie, d'audace, de sophistication et d'un savoureux comique d'affectation (ici dans les deux scènes chez l'avocat et celle dans la chambre d'hôtel). Plus à l'aise dans le drame, Merle Oberon, nommée aux "Oscars" 1936 pour The Dark Angel et actrice principale de William Wyler dans These Three et Wuthering Heights(4), laisse la vedette aux très opposés Melvyn Douglas et Burgess Meredith. Le premier, partenaire de Gloria Swanson dans Tonight or Never puis, chez Lubitsch, de Marlene Dietrich et Greta Garbo respectivement dans Angel et Ninotchka, dans un personnage assez classique ; le second(5), interprète de George dans Of Mice and Men, dans celui plus excentrique d'un misanthrope caractériel, aussi peu romantique que séducteur... mais exhalateur de saveurs comiques. Tous, y compris le réalisateur et particulièrement Oberon et Meredith, aguerris en matière de divorce !
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1. et considéré comme perdue. Elle avait été notamment précédée par le moyen métrage de Charles Giblyn avec Billie Burke dans le rôle principal.
2. Lubitch les avait tous successivement "fréquenté" (Warner Bros., Paramount, Metro-Goldwyn-Mayer puis 20th Century Fox).
3. crise conjugal, infidélité, triangle amoureux et retrouvailles.
4. et, entre les deux, titulaire du double rôle de The Divorce of Lady X produit par son premier époux Alexander Korda.
5. délaissé à la fin des années 1950 en raison de ses accointances politique, réhabilité par Otto Preminger et ayant connu une tardive reconnaissance grâce à The Penguin de la série Batman, à The Day of the Locust et au trois premiers volets de Rocky.
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