mercredi 8 décembre 2010

He Ran All the Way (menace dans la nuit)


"... Something you give an alley cat."

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Dernier film de John Garfield, He Ran All the Way reste dans les annales comme l'une des productions étroitement conditionnées par le maccarthysme dont le cinéma était devenu la cible privilégiée depuis 1947. Dalton Trumbo, qui figure sur la liste des "Hollywood Ten" dressée en novembre de cette année(1) et auteur sous pseudonymes ou non crédité de Deadly Is the Female et de The Prowler, apparaît d'ailleurs ici avec son co-scénariste Hugo Butler(2) sous celui très employé à l'époque de Guy Endore(3). Ce troisième et pénultième film produit par Bob Roberts (après Body and Soul et Force of Evil) constitue également l'ultime réalisation de John Berry assurée de ce côté-ci de l'Atlantique. Au carrefour incertain du polar, du film noir et du drame psychologique, He Ran All the Way surprend aussi bien par ses ruptures que par le profond désabusement dont il semble pétri.
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Tiré de sa oiseuse grasse matinée par sa mère, Nick Robey retrouve Al Molin sous la chaleur du milieu de journée estivale. Malgré les réticences du premier, les deux hommes se rendent dans un entrepôt d'entreprise où ils surprennent et assomment un individu à son arrivée pour lui dérober les liasses de billets destinés à la paie des employés. Alerté par leur fuite, un agent de police les poursuit, touche Molin avant d'être sérieusement blessé par le tir de revolver de Robey sur lequel il venait de faire feu à deux reprises. Celui-ci s'enfuit, trouvant un refuge provisoire dans une piscine. Il y fait par hasard la connaissance de Peggy Dobbs, une apprentie-nageuse à laquelle il prodigue quelques maladroits conseils. Afin de passer inaperçu, il l'attend à la sortie et lui propose de la raccompagner en taxi. La jeune femme l'invite chez elle, lui présente ses parents sur le point de partir au cinéma avec leur cadet. En les apercevant à leur retour par la fenêtre en compagnie de voisins, Robey craint qu'il s'agisse de policiers. Il menace alors la famille de son arme, avouant être le responsable des crimes ; typographe pour un journal, Fred Dobbs lui assure que, jusque-là, seul son complice avait été identifié.
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Adapté du roman éponyme de Sam Ross, également scénariste de séries télévisées, He Ran All the Way saisit d'emblée le spectateur par l'incroyable rythme initial de sa narration. Il mute ensuite et soudainement en un étonnant quasi huis clos dans lequel les enjeux mentaux prennent nettement le pas sur l'action. Cet inattendu développement met alors la confiance au centre du récit, opposant en écho dissonant l'ambiguë relation nouée entre Robey et 'Pegg' et le rapport de force qui s'instaure entre celui-là et le père de la jeune femme. Même si formellement elle subsiste, la balance distinctive entre bien et mal s'estompe. Entraîné malgré lui à commettre son forfait (n'a-t-il pas, sciemment, dans un premier temps laissé son revolver ?), Robey se découvre lui aussi victime, jouet d'un destin, sous la forme d'un concours de circonstances, auquel il semble incapable d'échapper ou, au moins, de résister rationnellement. Peu de convergences envisageables, sauf à la marge, entre ce film de John Berry et les futurs Suddenly de Lewis Allen ou The Desperate Hours de William Wyler. John Garfield réussit à apporter à son personnage, délicat et ingrat, une substance, une humanité certes douloureuse, désabusée et violente assez remarquables. L'ancien comédien, accusé comme sa partenaire Selena Royle de sympathies anti-américaines et à quelques mois seulement du terme précoce de son existence, trouve en Shelley Winters(4) et Wallace Ford de solides protagonistes. Parmi les rôles secondaires, citons l'apparition de Norman Lloyd, producteur associé et l'un des réalisateurs de la série Alfred Hitchcock Presents et la présence du jeune Robert Hyatt (déjà aperçu dans Miracle on 34th Street et Caught, devenu réalisateur en 1978). Soulignons enfin la photographie du multi-nommé aux Academy Awards James Wong Howe (Sweet Smell of Success, Hud...) et le montage de Francis D. Lyon peu avant qu'il ne passe à la réalisation.
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1. condamné pour cela en 1950 à une peine d'un an de prison.
2. nommé aux "Oscars" 1941 pour Edison, the Man et exilé au Mexique en compagnie de Trumbo.
3. écrivain et scénariste, auteur notamment de "The Werewolf of Paris".
4. vue précédemment dans Red River, Winchester '73, à l'affiche la même année de A Place in the Sun qui lui valut ses premières citations aux "Oscars" et "Golden Globes".




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