"Difficile de ne pas agir lorsque l'on est impliqué."
Remarquable, et cependant méconnu, Phillip Noyce. Son nom rappelle surtout les deux opus centraux de la série Jack Ryan,
pas forcément représentatifs de son talent et de sa sensibilité. Mais
il est aussi capable de produire des oeuvres de grande qualité. The Quiet American
est une de celles là. Il est, toutefois, possible, de l'aborder avec
une certaine prudence. Parce qu'elle fait suite à la version de Mankiewicz du roman de Graham Greene,
qui n'est pas le meilleur film de ce grand réalisateur. Tournée en
1957, alors que l'actualité de l'Indochine était brûlante, et allait le
devenir encore davantage, elle avait donné lieu à une polémique, créée
ou, au moins, vigoureusement alimentée par Henri Pierre du journal "Le Monde",
qui opposait un roman anti-américain et un film, au contraire, qui
n'aurait été qu'un plaidoyer pro-américain, ayant obtenu la bénédiction
officielle des autorités par la présence de fonctionnaires du
département d'état et de l'ambassadeur du Vietnam lors de sa première.
Argument avancé par l'accusation : Mankiewicz
avait pris la liberté d'en modifier la fin. Lorsque l'on connaît la
liberté d'esprit du metteur en scène, et que l'on comprend son
intention, purement artistique*, on ne peut que trouver cette affaire
absurde. Noyce
est bien plus fidèle à la conclusion du livre, mais il n'avait pas, il
est vrai, la pression de la politique étrangère de son pays. Et surtout,
le monde sait, aujourd'hui, le rôle ambigu qu'ont joué les Etats-Unis,
et notamment la C.I.A., dans cette partie du monde... et dans d'autres,
depuis.
Saigon, 1952. Un américain nommé Alden Pyle vient d'être découvert assassiné. Thomas Fowler (Michael Caine), quinquagénaire anglais et "reporter" correspondant du Times
en poste dans la capitale vietnamienne, est interrogé par la police
française. Dans le flash-back dans lequel s'inscrit alors le récit, on
découvre que Fowler vit, depuis deux ans, avec une jeune et jolie autochtone, Phuong (Do Thi Hai Yen), qu'il ne peut épouser parce que sa femme, restée à Londres, n'accepte pas le divorce. Il fait la connaissance d'Alden Pyle (Brendan Fraser), un américain venu pour participer à une action d'assistance médicale et qui prône pour le pays la "Troisième voie" théorisée par un auteur contemporain. Alden tombe amoureux de la compagne de son nouvel ami et, avec l'accord contrarié de Thomas, la demande en mariage en sa présence. Phuong, bien que Thomas ne puisse s'engager avec elle et séduite par Alden,
refuse. Après une tentative d'interview, près de la frontière khmère,
d'un général vietnamien, qui pourrait incarner le bras armé de cette "Troisième voie", Alden sauve la vie de Thomas au cours d'une attaque de soldats identifiés comme communistes. De retour à Saigon, Thomas découvre progressivement qu'Alden n'est pas venu au Vietnam pour ce qu'il prétend. Sa motivation dans l'enquête est renforcée par le fait qu'il a perdu Phuong,
pour lui avoir menti sur la réalité de son divorce, au profit de son
rival. Alors qu'il refuse de prendre parti et de s'impliquer, il va lui
falloir, à présent, s'engager.
L'amour
et la guerre : a-t-on trouvé, hélas, meilleur couple pour donner de la
force à un récit dramatique ? Ici, la recette est une d'une formidable
richesse. On peut ne considérer le film que comme le récit d'un
événement réaliste, et il est déjà très intéressant. Mais la métaphore
humaine de la situation que vit le pays au moment des faits est d'une
incroyable efficacité. Ce charmant et pourtant redoutable trio amoureux
personnifie l'opposition de la (déjà) vieille, nostalgique,
rêveuse, enfermée dans ses principes mais sincèrement humaine Europe et
de la jeune, emportée et déterminée Amérique, capable de jouer avec le
feu et la mort pour atteindre son présumé objectif, sauver le monde,
être son "amant". Fowler ne dit-il pas, au début du film : "Sauver un pays et sauver une femme, c'était la même chose pour Pyle" ? Seule la fin compte, quels qu'en soient les moyens. Pour donner vie à ce tableau troublant et captivant, Noyce
soigne son script, sa photographie et l'équilibre atteint est
remarquable. Il commet, néanmoins, selon moi, la même erreur que son
illustre prédécesseur en choisissant deux comédiens qui ne peuvent
s'affronter à armes égales. Comme Michael Redgrave (peut-être même mieux), Michael Caine** contribue très largement à l'intensité dramatique et à la qualité de Quiet American. Son "antagoniste", Brendan Fraser***, plutôt bon au demeurant dans son probable meilleur rôle, n'a pas le poids, l'âge, le métier (il est plus connu pour son jeu comique)
et la finesse de son partenaire. Il n'est, surtout, pas assez
sympathique dans la première moitié du film. Et cela handicape un peu
l'ensemble. En revanche, la charmante, fragile et secrète Phuong est plus délicatement et efficacement interprétée par la quasi débutante, Do Thi Hai Yen que par Giorgia Moll. Enfin, le score de Craig Armstrong réussit, avec beaucoup d'intelligence, à traduire les atmosphères singulières du film. Il faut voir Quiet American (sorti cet été, il est passé, injustement, presque inaperçu) ou le revoir, d'autant qu'il est encore d'un incroyable actualité.
N.B. : comme souvent, le traduction française du film ne rend pas la
richesse de la version originale. "Quiet" signifie, en effet,
tranquille mais aussi silencieux et secret, ce qui qualifie beaucoup
mieux le personnage en question.
___
*le seul personnage qui intéresse vraiment Joseph L. est le britannique Thomas Fowler, interprété par Michael Redgrave, au point qu'il choisit un acteur, Audie Murphy, bien moins efficace pour jouer cet américain qui n'est jamais nommé dans le film, et confie à Giorgia Moll l'un des rôles féminins, essentiels habituellement chez le metteur en scène, les moins intéressants de sa filmographie.
**qui méritait l'Oscar ou le Golden Globe du meilleur acteur au moins autant qu'Adrien Brody ou Jack Nicholson... mais il est vrai qu'il possède déjà deux "bonhommes" et trois "boules" dorés.
***dont la ressemblance avec Tom Hanks est surprenante. Celui-ci aurait, d'ailleurs, peut-être mieux endossé le costume de Pyle.
**qui méritait l'Oscar ou le Golden Globe du meilleur acteur au moins autant qu'Adrien Brody ou Jack Nicholson... mais il est vrai qu'il possède déjà deux "bonhommes" et trois "boules" dorés.
***dont la ressemblance avec Tom Hanks est surprenante. Celui-ci aurait, d'ailleurs, peut-être mieux endossé le costume de Pyle.
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