"Finalement, c'est un peu muet tout ça !"
Quand le souvenir est si précis, c'est qu'il s'agit d'un moment important. Une séance de l'après-midi sur les Champs Elysées (à une époque où l'avenue restait, à peu près, fréquentable)
avec un groupe d'amis. Divisé en deux groupes en sortant de la salle,
les "pour" et les "contre". Et, contrairement au film, peu d'analyses ou
de dissertations. Juste des "frais et piquant" et des "bavard et pas captivant". Je faisais partie du premier groupe. Je n'ai pas changé d'avis.
Cinquième long métrage de fiction de Denys Arcand, Le Déclin de l'empire américain s'inscrit dans la lignée d'un cinéma plus populaire entamée par le réalisateur avec Réjeanne Padovani. Le film reçoit un accueil très enthousiaste après sa projection au cours de la "Quinzaine des réalisateurs" du Festival de Cannes 1986 et se voit décerner le "Prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique" (Fipresci). Première production québécoise sélectionnée pour les Academy Awards l'année suivante(1),
elle rencontre un succès public international. Peut-être un peu
favorisé par le petit scandale créé par une affiche un peu provocatrice.
Pourtant le film est plutôt pudique, au moins sur le plan visuel !
Un
déjeuner dominical se prépare dans l'une des résidences secondaires de
la banlieue de Québec. Les quatre hommes préparent le repas, en
attendant les quatre femmes qui prennent soin de leur corps dans un
complexe sportif. Ils sont, presque tous, universitaires en histoire. Rémy (Rémy Girard) et Pierre (Pierre Curzi), divorcé, sont professeurs, Claude (Yves Jacques), homosexuel, est professeur d'histoire de l'art et Alain (Daniel Brière), célibataire, est un jeune chercheur. Dominique (Dominique Michel), célibataire, est un auteur brillant et responsable du département à l'université, Diane (Louise Portal), divorcée, est vacataire, Louise (Dorothée Berryman), l'épouse de Rémy, est une mère au foyer active et Danielle (Geneviève Rioux), la petite amie de Pierre,
est étudiante. On disserte de-ci de-là sur les expériences sexuelles
diverses et variées. Lorsque l'octuor est enfin réuni, la conversation
devient plus académique, moins salace en apparence, à peine troublé par
le bref passage de Mario, l'actuel amant, un peu "bestial", de Diane.
Le Déclin de l'empire américain est un bon exemple de ce que je qualifie de "musique de chambre cinématographique".
Cela n'a rien de péjoratif, au contraire. Comme pour ces petites
formations à cordes ou à vents, il faut que la partition soit
particulièrement bien écrite et les interprètes tous bons. On ne peut
dissimuler aucune faiblesse derrière le spectaculaire de l'oeuvre ou le
nombre d'acteurs des superproductions "symphoniques". L'idée développée
dans le film est doctement annoncée dès les premières minutes :
l'expansion du thème du bonheur individuel s'accompagne toujours de la
baisse du rayonnement d'une nation. Le cinéma d'Arcand
est donc bien toujours engagé. C'est en sociologue, voire en
anthropologue, qu'il place ses caméras dans le champs de son
observation. Bien entendu, la démarche scientifique est faussée dans la
mesure où il a lui même écrit le scénario et les dialogues. Quoique !
Tout cela est très simple, très crédible pour ne pas dire désespérément
classique. Ce qui ne l'est pas, c'est le traitement du film et la
qualité de ces dialogues. Presque tourné comme un documentaire, parfois
un peu contemplatif (superbes photographies de l'environnement du lac Memphrémagog, dans l'Estrie québécoise),
la mise en scène repose, dans la première partie, sur l'incessant
va-et-vient entre le groupe d'hommes et celui des femmes qui se
répondent à distance, comme on pourrait aisément imaginer le faire pour
un film animalier.
On
s'entretient de c.l, parce c'est plus simple et prétendument
valorisant, mais c'est d'amour que l'on voudrait parler, ce qui traduit
le désarroi, l'impuissance et la mesquinerie(2) des personnages. La réalisateur a eu l'intelligence d'intégrer à son script un "élément modérateur" en la personne de Mario,
joué par son frère. Le contraste et l'opposition qu'il interfère créent
une puissante relativité. Si on peut, naturellement, penser à My Dinner with Andre de Louis Malle ou The Big Chill de Lawrence Kasdan, voire à la Comédie érotique d'une nuit d'été de Woody Allen, ces comparaisons ne sont pas appropriées. Parce que les dialogues du Déclin de l'empire américain,
bien servis par un casting efficace, sont bien plus essentiels que dans
les films en question. Et que, sous la légèreté apparente, couve une
probable tragédie. Aube ou crépuscule, le film d'Arcand est un des films importants des années 1980, et, n'ayant pas vraiment vieilli, important tout court.
___
1. dans la catégorie "Meilleur film étranger" dans laquelle figurait également le français 37°2 le matin. Le trophée sera attribué au néerlandais L'Assaut de Fons Rademakers.
2. qui se manifeste à plusieurs reprises, en particulier quand
Dominique se venge cruellement de Louise parce qu'elle s'oppose, en
toutes innocences, à sa théorie.
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