"... J'ai du mal à saisir notre rôle dans ce gaspillage."
Les crimes de guerre perpétrés par la Wehrmacht(1) ont débuté dès l'invasion de la Pologne en septembre 1939. De Bydgoszcz à Oradour-sur-Glane en passant par Vinkt (Belgique) et Rome ("Fosses ardéatines"), leur liste est longue et effroyable. Le massacre de Lidice (Tchécoslovaquie) en juin 1942, commis en représailles à l'attentat incidemment mortel contre Reinhard Heydrich(2), possède la particularité d'avoir en partie inspiré deux longs métrages(3) sortis l'année suivante. Adapté par Zdenek Mahler à partir de son roman "Nokturno", le drame du Pragois Petr Nikolaev combine étroitement fiction et récit historique.
Lidice, 1938. Aussitôt après avoir quitté sa voisine et amante Marie Vanková, Frantisek Síma rejoint l'auberge où se déroule la fête des noces du jeune couple Vasek et Jarus. Appelé à découper la pièce montée, il subit alors les insultes de son propre fils aîné Edouard, visiblement éméché. Au cours de la brève empoignade, celui-ci est mortellement poignardé par son père. Condamné à quatre ans de travaux forcés, le meurtrier partage la cellule du perceur de coffre Petiska avant d'être déplacés, pour laisser place aux prisonniers politiques des occupants nazis, dans celle du réputé faussaire Kowalski. Síma reçoit la visite de Marie mais pas celle de son épouse Anezka ou de leur cadet Karel, ouvrier à la fonderie et musicien comme son ami Vasek. Le 27 septembre 1941, le général Heydrich remplace Konstantin von Neurath, démis de ses fonctions. Dans le cinéma de Prague où la nouvelle est annoncée, Karel remarque une plaisante jeune femme, Anicka Maruscakova, accompagnée d'une amie ; c'est pourtant Vasek qui les abordera, leur confiant une mission soit disant secrète : remettre un bouton en cuivre à la famille Horák dont le fils Pepik a rejoint l'armée anglaise. A la recherche de supposés parachutistes ennemis, Vlcek, désigné responsable local par l'officier nazi, rencontre peu après les quatre jeunes gens aux alentours du village.
Sauvé par un infanticide (accidentel ? Le scénario suggère plusieurs "reconstitutions" mentales sans véritablement trancher !), ce paradoxal et tragique argument constitue assurément l'un des atouts narratifs du film. Ambitieuse production tchèque, Lidice relate en effet fort bien, grâce aux travaux de l'historien Eduard Stehlík(4), la part des circonstances individuelles et collectives (réelles ou imaginaires), l'influence des destins personnels dans l'absurde entrelacs qui déclenche l'hécatombe. L'intention didactique du film est adroitement assumée et se révèle effective. Le rôle ambigu du "torturé" Vlcek, autochtone germanophone et possiblement aryen investi par l'envahisseur, les atermoiements relatifs à l'appel pour réduction de la peine prononcée contre Síma, la disparition (pure et simple) du village sacrifié élargit, densifie le récit à bon escient. Lidice bénéficie en outre de la présence d'acteurs tchèques de premier plan, de la réalisation soignée ("à l'ancienne"), souvent inspirée de Petr Nikolaev en tandem avec le directeur de la photographie mexicain Antonio Riestra (Pa negre). A conseiller sans réserve.
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1. armée "régulière" allemande, distincte quoique souvent associée (par ex. lors du massacre de Babi Yar en septembre 1941) aux einsatzgruppen, unités de police politique militarisées chargées des diverses missions d'élimination de masse et de la Shoah sous l'autorité de Reinhard Heydrich.
2. adjoint direct d'Heinrich Himmler à partir de 1931, nommé en 1936 premier responsable en chef du reichssicherheitshauptamt (office central de la sécurité du reich), puis général de la SS et protecteur adjoint du reich en Bohême-Moravie au moment de la deuxième partie des événements relatés dans le film.
3. Hangmen Also Die! de Fritz Lang et Hitler's Madman de Douglas Sirk.
4. auteur de "Lidice: Pribeh ceské vsi" (Lidice, histoire d'un village tchèque).
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