"Il y a le devoir et il y a la peur."
Avant dernier film de Nikita Mikhalkov, présenté à Cannes il y a presque dix ans, Soleil trompeur
est une réflexion, un témoignage doux-amer sur ce qu'ont été les années
les plus sombres du régime de Staline et un hommage à ses victimes.
Nous avons gardé en mémoire l'image du réalisateur et acteur du film
quittant, sa fillette sur les épaules, la scène sur laquelle il venait
de recevoir l'Oscar du meilleur film étranger. Récompense méritée, certes (même si certains voyaient dans le macédonien Pred dozhdot un élu plus légitime),
mais également acte politique qui couronnait le premier film
anti-stalinien de l'ère post soviétique. Ce manifeste est d'autant plus
fort lorsque l'on sait que le père de Mikhalkov
était un communiste fervent, poète et auteur de l'hymne national. C'est
aussi l'une des oeuvres du réalisateur les plus personnelles, premier
film de fiction dans lequel il apparaît dans le rôle principal avec sa
jeune fille pour partenaire.
Nous sommes en 1936. Le colonel Sergeï Petrovich Kotov
est un héros charismatique et une légende vivante de la révolution
russe. Combattant aux côtés de Lénine, il incarne l'idéal communiste mis
en place par celui-ci. Il passe un dimanche tranquille avec sa jeune
épouse, Maroussia et sa fille, Nadia, âgée de six ans dans la datcha de la famille de Maroussia, dans la campagne proche de Moscou. Cette même journée est une fête nationale à la gloire de l'industrie des dirigeables du camarade
Staline. Dans cette ambiance paisible et chaleureuse, à peine
interrompue par la présence de chars de l'armée ou les exercices de
sauvegarde civile, on semble n'avoir jamais quitté les meilleures heures
de l'empire tsariste. On déjeune dans de la porcelaine, on se baigne
dans la rivière voisine, on devise avec légèreté, on écoute un disque,
on chante des airs d'opéra... bref, une atmosphère de restauration qui
contraste avec l'air du temps mais qui n'est pas davantage que
l'expression d'un bonheur simple. L'arrivée de Mitia, l'ancien élève du père décédé de Maroussia et premier amour de celle-ci, un être fantasque et intrigant, qui jalouse, d'abord secrètement puis de manière ouverte, Kotov, va sceller le sort tragique de ce dernier.
Utomlyonnye solntsem
est un conte, avec intrusion du fantastique, sur la fin du communisme
rêvé et le début du cauchemar soviétique. En 1936, Staline est au
pouvoir depuis neuf ans. Celui que l'on a mis au pouvoir à la place du
puissant Trotski* parce qu'on pensait pouvoir le manipuler a déjà exclu
du parti, déporté (1927) puis expulsé (1929) mais n'a pas encore fait assassiner (1940) son ancien concurrent. Sous couvert de protéger le pays contre l'ennemi extérieur, le secrétaire général du parti (dans sa paranoïa du complot)
élimine tous ceux qui peuvent représenter un danger à l'intérieur et
notamment ceux qui sont susceptible de lui faire de l'ombre. La police
politique (NKVD) est chargée de mener une répression sans faille à partir de fausses ou irréalistes accusations. De manière symptomatique, Mikhalkov
décide d'ouvrir son film sur une scène, apparemment de comédie, dans
laquelle des chars s'apprêtent à dévaster des champs de blé mais doivent
y renoncer grâce à l'intervention du colonel Kotov. Dès cette
introduction, mais de manière subtile, le ton dramatique est donné et le
destin en marche : en réalité, les soldats de l'Armée rouge obéissent à
un ordre du NKVD et sont chargés d'arrêter des koulaks (paysans riches) résistant à la collectivisation des terres (deux
millions de paysans hostiles à la collectivisation seront victimes des
déportations staliniennes et pour lesquels on ouvrira les premiers
goulags de masse). Puis, dans une ambiance joyeuse de famille et
de fête, le metteur en scène oppose un authentique patriote, convaincu
des bienfaits de la révolution** à un être ambigu et dissimulateur (il arrive à la datcha sous un déguisement), qui se sert du régime pour faire aboutir une vengeance personnelle mais sans l'assumer pour autant.
Le rôle de l'image (et du miroir) est primordial. Kotov montre en permanence qu'il est, à l'extérieur, ce qu'il est à l'intérieur. Mitia est un être séducteur et cette séduction, en particulier vis-à-vis de Nadia (il échouera dans sa tentative avec Maroussia),
vise la manipulation. Le réalisateur mise sur la simplicité mais
apporte à son film une dimension parfois poétique avec des images
pleines de sens, comme le verre que l'on fait déborder, bien sûr la
boule de feu (soleil) destructrice ou ce gimmick du
chauffeur perdu, métaphore d'un peuple désorienté, qui prendra un tour
dramatique à la fin du film, moment où le héros perd toutes ses
illusions sous le regard symbolisé (encore l'image) de Staline. Illustré par une très belle partition musicale de Eduard Artemyev, Soleil trompeur est un magnifique plaidoyer pour le rôle de l'esprit contre celui de la raison.
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*qui écrivait, à propos de Staline : "Sur l'écran de la bureaucratie, l'ombre d'un homme inexistant peut passer pour quelqu'un."
**on peut faire un intéressant parallèle entre Utomlyonnye solntsem et Chapajev des frères Vasilyev. En effet, outre de mettre en scène deux héros de la révolution, Mikhalkov calque assez largement la personnalité de Kotov sur celle de Chapayev. De plus, la scène dans laquelle Sergeï Kotov promet à sa fille qu'elle aura toujours la semelle de ses pieds douce grâce au communisme est presque identique à celle où Vassili Ivanovich Chapayev se réjouit du bonheur de Petka et d'Anna qui peuvent connaître la paix apportée par le nouveau régime.
**on peut faire un intéressant parallèle entre Utomlyonnye solntsem et Chapajev des frères Vasilyev. En effet, outre de mettre en scène deux héros de la révolution, Mikhalkov calque assez largement la personnalité de Kotov sur celle de Chapayev. De plus, la scène dans laquelle Sergeï Kotov promet à sa fille qu'elle aura toujours la semelle de ses pieds douce grâce au communisme est presque identique à celle où Vassili Ivanovich Chapayev se réjouit du bonheur de Petka et d'Anna qui peuvent connaître la paix apportée par le nouveau régime.
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