"Latitude is one thing, insubordonation another."
Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1966, cent quatorze longs métrages ont fait l'objet d'une mesure officielle d'interdiction de diffusion. Paths of Glory ne figure paradoxalement pas sur la liste ; sa controversée distribution en Belgique avait en effet suffi pour que le drame martial de Stanley Kubrick ne soit finalement pas soumis à la Commission française de contrôle des films. Près de dix-huit ans (l'âge de la majorité civile réformée !) ont été nécessaires pour qu'une projection en salles françaises soit enfin programmée. A l'heure où certains prétendent que la repentance serait opposée aux valeurs républicaines(1), cette censure, confinant au refoulement, d'événements intervenus entre 1915 et 1921 souligne d'emblée la verve accusatrice, et par là même l'importance historique et artistique du quatrième long métrage de Kubrick tiré de l'unique ouvrage de l'Etasunien Humphrey Cobb paru en 1935. Paths of Glory est d'ailleurs aujourd'hui considéré comme l'une des meilleures productions du cinéaste subjugué par le thème de la déshumanisation.
France 1916. Agacé par l'impasse constituée par la guerre de tranchées, l'état-major de l'armée française décide de mener une offensive ambitieuse mais risquée. D'abord très réticent, le général Paul Mireau se laisse convaincre par son homologue Georges Broulard de lancer les soldats du 701e régiment à l'assaut de la Fourmilière, position haute tenue par l'ennemi défendue par des tirs nourris de mitrailleuse et d'obus. Menacé d'être remplacé en cas de refus et confiant à l'égard de ses hommes pourtant déjà très éprouvés par le front, le colonel Dax doit assurer le commandement opérationnel de l'attaque. Au cours d'une mission de reconnaissance nocturne, le soldat Lejeune est tué par la grenade de son supérieur, l'alcoolisé et apeuré lt. Roget, avec le caporal Philippe Paris pour seul témoin. Le lendemain, par grand beau temps et faiblement soutenue par l'artillerie, un bataillon est rapidement décimé par le feu intense de l'armée adverse. Constatant que l'autre partie du régiment demeure dans les tranchées, Mireau réclame qu'elle soit prise pour cible par les canons français, ordre rejeté par l'officier Rousseau en l'absence de confirmation écrite.
Saisissant, le terme paraît presque trop faible pour qualifier Paths of Glory. La qualité souveraine de Stanley Kubrick, tout au long de sa carrière, aura été de placer le récit, toujours choisi et/ou influencé avec soin(2), au service de l'Homme. Ce principe, rationnel ou compulsif, déjà à l'œuvre dans les deux polars réalisés précédemment apparaît encore plus sensible ici. La vocation pacifiste ou anti-militariste du film(3) reste en soi assez secondaire. La "mécanique" (nature intrinsèque, motivations, faiblesses, conditionnement...) humaine focalise l'intérêt de Kubrick. Il n'y a ni authentique héros, ni véritable lâche dans l'univers de cet échéphile émérite, juste le jeu du hasard et les exigences de la nécessité(4). La remarquable maîtrise de la mise en scène et de la direction d'acteurs participe aussi à nous empoigner sans relâche. De l'opposition formelle des palais de la République, résidences de distants officiers supérieurs, aux tranchées de la Marne à l'insolite émotion provoquée par la séquence finale en passant par la vibrante traversée des soldats sous le redoutable pilonnage ennemi, le deuxième des trois films du réalisateur produits par James B. Harris mérite bien les superlatifs qu'il a suscité depuis plus d'un demi-siècle.
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1. contrairement à la réhabilitation, celle annoncée il y a presque trois ans des six cents soldats français fusillés de la Grande Guerre pour désertion ou mutilation volontaire.
2. celui de Calder Willingham et Jim Thompson, auteurs de l'adaptation et candidats à un "Writers Guild of America Award" en 1958.
3. reléguant le film à la simple illustration du postulat d'un ancien Président du conseil : "la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires" (Georges Clemenceau).
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