mardi 30 octobre 2012

The Life and Death of Colonel Blimp (colonel blimp)


"Awfull mess!"

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Ne cherchez pas ! Il n'y a (presque) pas de colonel Blimp dans ce cinquième film (le deuxième co-réalisé) du duo Michael Powell-Emeric Pressburger. Bien qu'il ait pu influencer quelques situations du scénario, le personnage de bande dessinée(1) créé au cours des années 1930 par David Low(2) ne constitue en effet pas le motif principal de cette délectable comédie dramatique. En revanche, vous trouverez infiniment d'intelligence et de talent au service d'un projet ambitieux ayant remarquablement traversé les décennies. Lorsque débute la production en juin 1942, le rapport de force entre les belligérants de la Seconde Guerre mondiale est sur le point de s'inverser. L'offensive de l'Allemagne sur le front de l'Est réduit les risques d'une invasion de l'Angleterre, ce qui explique sans doute en partie sa tonalité volontiers enjouée, optimiste. Figurant parmi les dix meilleurs films de l'année sélectionnés par le National Board of Review en décembre 1945, The Life and Death of Colonel Blimp apparaît à la 45e place du classement national établi en 1999 par le British Film Institute.
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Un exercice de défense intérieure à Londres est programmé pour minuit. Le lieutenant 'Spud' Wilson annonce à ses trois chefs de groupe qu'ils vont avancer l'attaque à 18h. Sur la route, les trois camions militaires font un bref arrêt au café "The Bull" ; 'Spud' assommé y est bientôt secouru par ses soldats. La responsable, surnommée 'Mata Hari', est prise en chasse jusqu'à la capitale où le jeune officier sait qu'elle doit rejoindre 'The Wizard'. Celui-ci, le major-général Wynne-Candy, est peu après capturé, malgré de véhémentes protestations, dans un bain turc. Parce que le lieutenant ridiculise avec insolence son âge, son abdomen et sa moustache, Candy le rejoint dans le bassin où il l'a précipité. Quarante ans plus tôt, dans le même lieu, Clive 'Sugar' Candy retrouvait son ami David 'Hoppy' Hopwell avec lequel il a combattu sept mois à Jordaan Siding (Afrique du Sud).
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Ce dernier lui remettait un pli écrit par la sœur de la gouvernante de sa nièce installée à Berlin. La jeune femme s'y plaignait des mensonges répandus par un certain Kaunitz sur de prétendues atrocités commises contre les Boers par l'armée britannique destinés à opposer l'Allemagne et l'Angleterre. Souhaitant, en conclusion, que Candy, récemment interviewé sur le sujet pour un article du "Times", puisse rétablir la vérité. Ne faisant aucun cas du conseil donné par le colonel T.H. Betteridge de profiter paisiblement de sa permission, Candy décidait de partir pour Berlin. Il y rencontrait l'auteur de la lettre, Edith Hunter, laquelle acceptait de l'emmener dans le café fréquenté par Kaunitz. Malgré un imprévu diplomatique qui l'empêchait a priori de déclencher un scandale et grâce à un habile stratagème, Candy poussait Kaunitz à une provocation publique. L'officier anglais devait alors affronter en duel au sabre son homologue germanique Theo Kretschmar-Schuldorff.
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Selon ses deux auteurs, l'idée de The Life and Death of Colonel Blimp aurait été suggérée par le monteur David Lean à partir d'une scène coupée de One of Our Aircraft Is Missing. L'élément fondateur du scénario n'est-il pas cette confrontation à la fois de générations et physique entre le vieux général Candy et l'irrespectueux jeune lieutenant Wilson ? Une opposition qui ne se résume d'ailleurs pas à une simple, classique dialectique action-réaction... tout en masquant certaines ressemblances. Le film avait, avant même sa sortie, été critiqué entre autres pour dénigrer le patriotisme (accusation infondée) et la trop grande complaisance avec laquelle l'officier allemand y était portraituré. Ignorance caractérisée de l'autre, de l'"étranger" qu'il dénonce justement. La démonstration de la désuétude d'un esprit guerrier chevaleresque constitue l'autre argument essentiel, et il est assez finement développé au cours des trois époques narrées presque intégralement en flashback. La mise en scène, dès l'insolite ballet motocycliste, est comme toujours magistrale. La rigueur et l'inventivité de Michael Powell, d'Emeric Pressburger et de leurs collaborateurs doivent à nouveau être soulignées, en particulier le visible génie de la composition de l'image et de l'élaboration des plans. La distribution sans faille achève de nous enthousiasmer, emmenée par les excellents Roger Livesey(3), dans l'un de ses meilleurs rôle, Deborah Kerr(4) encore au début de sa brillante carrière et Anton Walbrook, élève viennois de Max Reinhardt.
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1. pompeux, irascible, chauvin et stéréotypée, figure satirique des opinions réactionnaires de l'establishment britannique des années 1930-40 incarnées, selon certains avis, par Winston Churchill.
2. remercié dans le générique d'ouverture.
3. choisi pour pallier l'incorporation "préventive" dans la Royal Navy de Laurence Olivier... par un premier ministre déjà cité !
4. remplaçante de Wendy Hiller indisponible et ici vecteur de l'habituel ingrédient surnaturel des œuvres de Powell-Pressburger.


vendredi 26 octobre 2012

Le Quai des brumes


"... Tu dirais ça à un autre que moi je trouverais ça idiot, mais... que tu me le dises comme ça à moi, ben... c'est marrant ça me fait plaisir."
 
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Comment un film entre-t-il durablement dans le patrimoine culturel (inter)national ? Par la réputation de son réalisateur, le talent de ses scénaristes, la magie d'un face à face entre deux acteurs ? Ou par l'insolite persistance mémorielle d'une réplique a priori anodine ? Avant d'entamer ce projet de libre adaptation du roman éponyme publié en 1927 par Pierre Dumarchais alias Pierre Mac Orlan, Marcel Carné n'a dirigé que deux fictions, Jenny et Drôle de drame déjà en collaboration avec Jacques Prévert. L'association de la poétique volontiers appréhensive du Neuilléen et du réalisme pondéré du Parisien explique, au moins en partie, la séduction exercée par Quai des brumes. Lieu fabulé de la première rencontre à l'écran(1) de Jean Gabin avec Michèle Morgan, âgée alors de dix-huit ans, remarquée dans Gribouille de Marc Allégret. Et conjugaison sublimée par le très célèbre "T'as d'beaux yeux, tu sais !" exprimé (avec un soupçon d'ambiguïté) par la vedette à sa jeune partenaire. Le film reçut à Venise un prix spécial pour sa réalisation avant d'obtenir le troisième "Prix Louis-Delluc"(2).
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A vingt kilomètres du Havre, quelques heures avant le lever du jour, un camionneur s'arrête pour faire monter à bord un soldat de "la Coloniale". Lorsque celui-ci provoque une embardée afin d'éviter un chien sur la route, les deux hommes se menacent par la parole mais retrouvent rapidement leur calme. Arrivé à destination, suivi par le canidé, le militaire passe devant "Le petit Tabarin"Lucien Le Gardier interroge en vain Zabel à propos d'un certain Maurice disparu. Un vagabond conduit Jean dans une buvette isolée tenue par l'altruiste Panama. Ils sont bientôt rejoints par Michel Krauss, un jeune peintre aux idées noires. Convié à une modeste collation par Panama dans l'arrière-salle, Jean y rencontre la jolie mais triste Nelly. Ensemble, ils sont les témoins auditifs de la fusillade déclenchée par la bande de Lucien à la poursuite de Zabel. Armé d'un revolver, Panama parvient à mettre en fuite les trois assaillants avant de découvrir Zabel, apparemment blessé à une main.
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Changement de promoteur, contrôle(3) du scénario, difficiles conditions d'un tournage entamé au Havre en janvier 1938 poursuivi à partir du mois suivant aux studios Pathé-Cinéma (Joinville-le-Pont), le troisième long métrage de Marcel Carné a longtemps été plongé... dans un certain brouillard productif. Au choix polar portuaire ou drame désespéré de l'insoumission et/ou de la marginalité, Le Quai des brumes ne souffre pas trop des tergiversations narratives auxquelles il a été soumis. Une bienfaisante vérité humaine, au contraire, s'en dégage grâce à ses interprètes, en particulier Michel Simon, Raymond Aimos, Edouard Delmont ou encore Robert Le Vigan. Les interrelations entre les personnages n'apparaissent que progressivement, pour la plupart en situation d'impasse. Les trois principaux étant portés par leurs faiblesses occasionnées à de funestes extrémités. Adroite, voire inspirée, la mise en scène de Carné joue aussi élégamment la rupture entre scènes nocturnes et diurnes. Aux côtés d'un Jean Gabin fidèle à lui-même(4), Michèle Morgan s'affirme en rendant sensible l'abandon et la fragilité de Nelly.
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1. le couple sera à nouveau réuni par Maurice Gleize dans Le Récif de corail, par Jean Grémillon pour Remorques puis par Jean Delannoy dans La Minute de vérité.
2. où il succédait au Puritain de Jeff Musso. Le Quai des brumes était également désigné "meilleur film étranger" en 1939 par le National Board of Review.
3. pour ne pas dire précensure, opéré par le représentant du ministère de la Guerre mais aussi par Grégoire Rabinovitch et Simon Schiffrin... Le film sera ensuite interdit entre sept. 1939 et janv. 1941.
4. "Gabin (le héros tragique par excellence du cinéma français d'avant-guerre) n'aurait jamais pu, quelque soit le scénario, dépeindre un autre destin que le sien." (André Bazin).