dimanche 31 octobre 2010

Phenomena


"... Le papillon et l'âme, la psyché, du grec papillon, psukhê."

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"Et si l'on se faisait une petite mixture ?" (dialogue fictif !) demande Dario Argento à Franco Ferrini (avec lequel il allait co-signer Dèmoni de Lamberto Bava). Pour cette première collaboration, les deux hommes aurait dû avoir à l'esprit les dangers sous-jacents de certains mélanges. En l'occurrence, réunir dans un seul et même scénario giallo et surnaturel déjà pratiqués séparément par le cinéaste romain. Disons-le franchement, l'idée initiale de Phenomena n'est pas mauvaise ; on peut aller jusqu'à lui reconnaître un véritable potentiel doublé d'une relative originalité. Mais le film semble venir illustrer le proverbe latin issu de la mythologie grecque : "multa cadunt inter calicem supremaque labra"(1). Et confirmer la perte d'inspiration d'Argento relevée depuis Inferno.
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Dans les alpages zurichois, une jeune touriste rate le car qui devait la ramener en ville. En désespoir de cause, elle se dirige vers une maison en retrait de la route. L'endroit semble désert mais, à l'intérieur, quelque chose ou quelqu'un s'apprête à se libérer des chaînes qui le retiennent au mur. Des attaches bientôt utilisées pour tenter d'étrangler l'adolescente dont la main est ensuite transpercée par une lame de paire de ciseau. Celle-ci parvient à s'enfuir, rattrapée au bord d'une cascade, tuée et décapitée par l'inconnu qui emporte le reste du cadavre. Huit mois plus tard, la découverte de la tête permet à l'entomologiste, spécialiste de la faune nécrophage, John McGregor, sollicité une nouvelle fois par l'inspecteur Geiger, de dater le meurtre et d'identifier la victime, la danoise âgée de quatorze ans Vera Brandt. Au même moment, Jennifer, la fille de l'acteur Paul Corvino, arrive de Los Angeles à l'internat pour jeunes filles "Richard Wagner" où elle doit poursuivre sa scolarité. Au cours de la première nuit, la nouvelle pensionnaire, prise de somnambulisme, assiste à l'horrible meurtre d'une jeune étudiante dans la partie vétuste et condamnée de l'école. Puis, malmenée par deux jeunes hommes en automobile, elle finit par suivre la chimpanzé Inge chez son maître le professeur McGregor.
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L'expression qui s'impose au terme de ce Phenomena est assurément "dommage". Les ressources les plus intéressantes n'y sont en effet jamais vraiment exploitées. Celle notamment d'une jeune héroïne qui développe une implicite complicité avec les insectes, découvrant incidemment qu'elle peut aussi devenir explicite et protectrice. En particulier lorsque ce ferment est associé aux thèmes de la folie, de la normalité, de la différence et de la stigmatisation. Des ressorts dramatiques gaspillés par le goût argentien pour le grand guignol horrifique, les impasses et autres fausses pistes (en Transylvanie suisse, y aurait-il des vampires ?). La narration poussive, sans réelles motivations et aux transitions laborieuses(2) ne "brille" que par ses invraisemblances ou auto-citations (vitre fracassée par le crâne d'une victime), à laquelle est associée une bande originale rock à la fois composite et décalée (l'évacuation de McGregor). Aux côtés de quelques parents et amis(3), la future oscarisée Jennifer Connelly fait le dur apprentissage du Septième art tandis que Donald Pleasence, un des acteurs fétiches de John Carpenter, Dalila Di Lazzaro et Patrick Bauchau jouent les utilités. Au fait, avez-vous des nouvelles de Greta ?
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1. i.e. il y a loin de la coupe aux lèvres.
2. une contre-publicité patente pour le Ligurien Franco Ferrini à l'occasion de sa deuxième expérience dans le thriller horrifique après Enigma rosso d'Alberto Negrin et qui, rappelons-le, faisait récemment partie du pool d'adaptation de Once Upon a Time in America... où apparaît, pour la première fois au cinéma, la jeune Jennifer Connelly !
3. Fiore Argento, demi-sœur aînée d'Asia, dans son éprouvant premier rôle, Federica Mastroianni, nièce de Marcello ou Fiorenza Tessari, fille de Duccio.

Tenebre (ténèbres)


"... Mais si on coupe les passages ennuyeux, cela fait un best-seller."

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Romancier à succès, Peter Neal quitte New York pour Rome où il doit assurer la promotion de son dernier livre, "Tenebrae", et préparer le suivant. Dans le même temps, une jeune voleuse à l'étalage nommée Elsa Manni est égorgée au rasoir chez elle, le meurtrier prenant soin de lui remplir la bouche de pages déchirées du roman de Neal. Pendant la conférence de presse organisée dès son arrivée par Bullmer , l'agent de Neal, une enveloppe est glissée sous la porte de l'appartement réservé pour celui-ci par son assistante Ann. Il y est attendu par le commissaire Germani et l'inspectrice Altieri de la Brigade criminelle qui l'informe de l'assassinat et lui remet la lettre à son attention, un texte composé de lettres découpées dans des journaux citant un bref passage de "Tenebrae". Le tueur présumé l'appelle ensuite au téléphone de la cabine en bas de l'immeuble mais il disparaît avant que les policiers n'y parviennent. Dans la nuit, Tilde, journaliste en relations avec Neal, et son amante sont elles aussi tuées au rasoir.
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"... Passages ennuyeux" ou grotesques, il ne reste plus grand choses de ce Tenebre ! Qualifié par certains de chef-d'œuvre avec une emphase presque aussi extravagante, ce troisième giallo constitue l'une des productions les plus faibles, ridicules de Dario Argento. Le film, dont on ne peut décemment nier les qualités visuelles et physiques*, provoque très vite, par la profonde inanité de son scénario, la consternation, la lassitude voire parfois le rire tant les situations et les personnages apparaissent absurdes et vains. Difficile également d'y reconnaître Anthony Franciosa** (A Face in the Crowd) ou un John Saxon venu donner à sa carrière, au cours de cette année, un léger accent italien et bien plus convaincant dans Black Christmas ou le prochain A Nightmare on Elm Street.
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*véritable défilé organisé, par ordre d'apparition, pour Veronica Lario, Ania Pieroni, Daria Nicolodi, Mirella D'Angelo, Eva Robin's ou encore Lara Wendel.
**finalement préféré à Christopher Walken, au grand dam a posteriori du réalisateur.

samedi 30 octobre 2010

Inferno


"... Sous la semelle de vos chaussures."

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Doit-on dire deuxième volet de la "Trilogia delle Tre Madri" ou version transposée aux Etats-Unis de Suspiria ? La proximité formelle entre les deux films est telle que la question peut être sérieusement posée. Avec l'opus inaugural, Dario Argento nous proposait une inédite expérience cinesthétique. Et nous avions été nombreux à tomber sous les charmes malfaisants et visuellement remarquables alors déployés par le cinéaste romain. Inferno peine davantage à emporter notre adhésion pleine et entière.
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New York en avril. Plongée dans la lecture d'un vieil ouvrage intitulé "The Three Mothers", Rose Elliot y apprend la construction par l'auteur, un obscur alchimiste-architecte installé à Londres et nommé Varelli, de trois résidences. Chacune d'entre elles a été édifiée pour l'une de ces trois mères, Mater Suspiriorum la plus ancienne à Fribourg, Mater Lacrimarum le plus belle à Rome et Mater Tenebrarum la plus jeune et cruelle à New York. Impressionnée par ce récit, la jeune poétesse envoie une lettre à son frère Mark pour lui demander de la rejoindre. Elle rend ensuite visite à l'antiquaire Kazanian, qui lui a vendu le livre et tient boutique près de son immeuble, pour l'interroger. L'individu handicapé ne se montre pas très loquace. Rose décide d'explorer les caves du bâtiment où, selon Varelli, réside une des trois clefs de son énigme. Les siennes tombent au fond d'un puits emplis d'eau et d'objets divers, l'obligeant à s'y enfoncer pour les récupérer. Au cours de sa plongée, des cadavres en décomposition avancée s'échappent d'une ouverture et la percutent.
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Suspiria reposait implicitement sur un postulat : mettre la narration au service de la direction artistique. Et les spectateurs l'avaient, pour la plupart, accepté au nom de l'innovation (novation). L'argument d'originalité ne peut plus être avancé concernant Inferno. Dès lors, la quasi absence d'histoire s'y fait sentir cruellement. Plus erratique qu'énigmatique, le scénario s'apparente à celui d'un slasher peu giboyeux, irisé certes mais aux "fondations" confuses et aux acteurs presque transparents (y compris la Valli qui semble prendre goût au genre !). La déception atteint son "comble" lorsque l'on connaît la significative contribution du grand Mario Bava à la production et celle du lyrique Keith Emerson, successeur des Goblins, réduite à un appel à l'aide (ELP). Difficile d'aisément associer Inferno aux références ou œuvres majeures du segment*.
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*surnaturel-démoniaque, parmi lesquels Häxan du Suédois Benjamin Christensen, The Seventh Victim de Mark Robson, Night of the Demon de Jacques Tourneur, The Devil Rides Out de Terence Fisher ou encore Rosemary's Baby de Roman Polanski.