lundi 30 novembre 2009

Stützen der Gesellschaft (les piliers de la société)


"Du Karsten Bernick tout craché."

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Venu acquérir des chevaux dans le ranch de son ami Johann Tönnessen, le directeur de cirque Urbini évoque avec lui sa prochaine grande tournée européenne. Il prévoit de la faire débuter en Norvège, la patrie que son interlocuteur a quitté il y a vingt ans pour ne plus y retourner, son beau-frère Karsten Bernick l'ayant à cette époque renié. Consul de la ville où il possède un chantier naval, développé par emprunt, qu'il compte un jour léguer à son fils Olaf, Bernick jouit de la considération de ses concitoyens en raison de la prospérité et des bienfaits apportés à la localité. Les pêcheurs, privés de pontons pour leur navires par l'extension du chantier et dont l'activité est menacée, se montrent en revanche beaucoup plus critiques. De son côté, Krapp, le principal collaborateur du consul Bernick, fait pression sur son patron afin d'épouser Dina Dorf, la fille putative de Tönnessen. Il sait notamment qu'il n'existe aucune preuve du détournement de fonds dont celui-ci avait été accusé.
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Sans répondre à une fatalité, la rencontre de l'homme de théâtre Douglas Sirk avec le dramaturge norvégien du siècle précédent Henrik Ibsen semble presque naturelle. N'existe-t-il pas entre le "père (ou parrain) du drame moderne" et le futur maître du mélodrame une véritable affinité élective ? Tant par la thématique principale(1) que par la tonalité souvent désespérée, cette proximité artistique ne peut, en effet, raisonnablement être contestée. Saisissant portrait psychologique d'un individu sans scrupule, obsédé par un objectif qui le dépasse(2), auquel se superpose une critique sociale proche de la caricature, Stützen der Gesellschaft(3) apparaîtrait pourtant presque trop classique si Heinrich George ne rendait pas l'entêtante conviction de son personnage aussi forte et crédible.
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1. "Ce n'est pas le combat conscient des idées qui s'étale devant nous, cela ne se passe jamais ainsi dans la réalité. Ce que nous voyons, ce sont les conflits humains, et au plus profond, entremêlées à eux, il y a des idées en lutte - elles sont mises en déroute ou sortent victorieuses." (H. Ibsen)
2. un sujet développé par Charles Dickens et porté au cinéma par John Cromwell dans Rich Man's Folly.
3. la pièce de 1877 avait déjà été adaptée à deux reprises, la première fois par Raoul Walsh, la deuxième par Rex Wilson.

samedi 28 novembre 2009

Das Mädchen vom Moorhof (la fille des marais)


"Pourquoi as-tu répandu ta cendre sur notre poêle ?"

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Au moment où le Rhénan-palatin William Dieterle dirigeait Paul Muni dans deux drames pour la Warner et où Fritz Lang s'installait aux Etats-Unis, leur cadet Detlef Sierck réalisait son deuxième long métrage pour les studios Universum Film AG. (producteurs, au cours de la décennie précédente, des principaux films de Lang et de Murnau) que le metteur en scène hambourgeois venait d'intégrer. Troisième adaptation au cinéma* du roman de l'écrivain suédois Selma Lagerlöf (premier auteur féminin à recevoir le "Prix Nobel de littérature", à laquelle on doit notamment Körkarlen), Das Mädchen vom Moorhof permet d'apprécier, outre ses qualités propres, la cohérence artistique du cinéaste d'Imitation of Life en mettant sa carrière en passionnante perspective.
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Allé au village pour y engager une servante, Karsten Dittmar rejoint le tribunal pour obtenir des informations sur l'une d'elles. Il y assiste à la confrontation entre Helga Christmann et son ancien employeur Peter Nolde, désigné par la plaignante comme le père de son enfant. Pour appuyer ses dénégations, Nolde accepte de prêter serment sur la Bible mais il est interrompu par Helga qui préfère retirer sa plainte plutôt que de le laisser commettre un parjure. Sur le chemin du retour, Karsten rend visite à Gertrud Gerhart, sa future épouse malgré la réticence du père de la jeune femme qui aurait préféré pour celle-ci un meilleur parti. Après être rentré chez lui, Karsten retrouve Helga à proximité de la pauvre demeure de ses parents auxquels elle n'ose pas avouer avoir renoncé au dédommagement pécuniaire attendu. Il lui propose de rencontrer sa mère qui souhaite la prendre à son service. Invité à visiter la ferme et à déjeuner chez les Dittmar, le bailli Gerhart finit par donner son accord aux noces de sa fille.
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Mélodrame où la justice, une apaisée rivalité amoureuse et le retour en grâce sont au cœur du récit, Das Mädchen vom Moorhof semble apporter un surprenant contrepoint au régime, désormais dictatorial, sous lequel il est tourné. Autre motif d'étonnement, la remarquable faculté de Douglas Sirk à transposer son art de la scène au plateau. Avec, en particulier, cette préoccupation déjà évidente pour préserver un harmonieux équilibre entre la narration de Philipp Lothar Mayring (collaborateur à plusieurs reprises de Kurt Gerron) et les éléments visuels. De ce dernier point de vue, Sirk réussit avec une aisance confondante à passer d'une belle et réaliste rusticité à, ici ou là, des atmosphères bien plus singulières, influencées par des croyances populaires ou par le cinéma muet. Le discret mais remarquable travelling circulaire lors de l'importante scène "autour" du poêle des Dittmar illustre magnifiquement ce soin. Très convaincantes interprétations de la Viennoise Hansi Knoteck, dont les talents de chanteuse et de danseuse ne sont ici pas sollicités, et de ses partenaires parmi lesquels Eduard von Winterstein (Der Blaue engel) et Franz Stein (second rôle dans M et Das Testament des Dr. Mabuse).
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*après celles des réalisateurs-acteurs suédois Victor Sjöström (The Wind) et turc Muhsin Ertugrul.

mercredi 25 novembre 2009

Død snø (dead snow)


"Ce n'est pas tellement le terrain qui craint."

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Auteur pour son premier long métrage d'une parodie de Kill Bill, le Norvégien Tommy Wirkola revient deux ans plus tard avec une comédie horrifique également inédite en France mais présentée hors compétition au 25e Sundance Film Festival (parmi les huit films de la sélection Park City at Midnight*). Toujours co-signé avec son complice Stig Frode Henriksen, alias Jompa Tormann dans Kill Buljo, Død snø ne cherche à l'évidence pas à dissimuler ses influences cinématographiques. Il ressuscite également, à nos corps défendant, le souvenir d'un triptyque de série Z du début des années 1980.
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Un groupe de huit étudiants s'apprête à passer les vacances de Pâques dans un chalet perdu au milieu des montagnes neigeuses. Sept d'entre eux, arrivés en voitures, attendent leur hôtesse Sara qui a elle choisi de faire le voyage à ski. La nuit tombée, Liv croit apercevoir, du cabanon d'aisances où elle s'est rendue, une silhouette. Il s'agit en réalité d'un randonneur auquel les jeunes gens acceptent d'offrir un café. L'individu raconte alors à son auditoire, captif et incrédule, la croyance locale d'une présence maléfique supposée produite, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, par la vengeance de la population contre ses tortionnaires nazis. Une fois parti et installé dans sa tente, l'inconnu est brutalement agressé et tué. Inquiet par le retard prolongé de Sara qui lui est apparue, crachant du sang, dans un cauchemar, son petit-ami Vegard décide de partir à sa recherche en scooter de neige.
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Oyez, oyez (lytte en langage autochtone), gents à la fois attirées par l'humour potache, voire de carabin, et par le gore. Vous devriez en effet goûter à sa juste saveur ce nordique mais "viscéralement" foisonnant Død snø. Rafraîchissant tant par son climat que par sa fantaisie givrée, récréatif plus que véritablement inquiétant, cette production de Tommy Wirkola joue à plein la carte du second degré avec une certaine réussite. Difficile de ne pas y trouver, outre quelques explicites citations de plusieurs films et notamment du Braindead de Peter Jackson, une filiation avec The Evil Dead de Sam Raimi. La véritable signature génétique doit cependant être cherchée auprès d'authentiques nanars*, que l'on croyait oubliés, sublimés, si l'on peut dire, à sa manière par Død snø !
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*dont la vocation est de "divertir, surprendre ou choquer le spectateur aux yeux troubles (ou larmoyants)".