jeudi 30 mars 2006

Bonnard


Pierre Bonnard (1867-1947), contemporain de Braque et de Matisse, n'est traditionnellement pas considéré comme un des artistes majeurs de la peinture française. Pour preuve, son œuvre est restée presque confidentielle pendant près de quarante ans, jusqu'à la rétrospective organisée au Centre Pompidou en 1984. L'une des explications de cette relative discrétion est sans doute liée à ses choix picturaux, natures mortes et portraits, au moment même où l'abstraction s'imposait. On peut également avancer son exil volontaire dans sa maison du Cannet de 1939 à sa mort.
Cette ancien étudiant en droit, devenu avocat en 1889, suit parallèlement les enseignements de l'Ecole des Beaux-Arts. Il y rencontre Edouard Vuillard et adhère au groupe des Nabis, mouvement influencé par Paul Gauguin et par le japonisme. Affichiste, il abandonne en 1891 la robe, se liant d'amitié la même année avec Toulouse-Lautrec auquel il est opposé pour une commande du Moulin Rouge, emportée par ce dernier. En 1893, il rencontre Marthe qui devient son principal modèle puis son épouse en 1925. Une exposition consacrée au peintre se tient, pour sa réouverture depuis le 2 février, au musée d'Art moderne de la ville de Paris.
Auteur d'un intéressant Georges de la Tour, Alain Cavalier prend ici pour prétexte le décrassage du "Nu à la baignoire" (1936) pour évoquer Bonnard et sa compagne. Ce portrait imagé, filmé caméra sur l'épaule et narré sans réelle préparation, nous fait entrer dans l'intimité du peintre telle que se la représente le cinéaste. Un passage par la résidence méridionale de Bonnard permet de resituer les œuvres dans leur contexte de création.

mardi 28 mars 2006

Enron: The Smartest Guys in the Room (enron)


"... Une synergie de corruption."

On ne le sait pas assez, mais deux attaques terroristes ont eu lieu en 2001 sur le territoire étasunien. La première, qui n'a échappé à personne, a fait près de trois milles victimes en septembre et brièvement secoué l'économie nationale. La seconde, longuement préparée par des criminels de l'intérieur et dévoilée en décembre à Houston (Texas) par la retentissante faillite de la firme Enron a touché plus de vingt mille personnes (employés) et, de manière collatérale, quelques millions d'actionnaires supplémentaires. L'onde de choc de cette monumentale escroquerie s'est répercutée dans l'ensemble du monde des affaires, en particulier en créant le doute sur la prétendue transparence des informations communiquées par les entreprises. Suspicion confirmée en mars 2003 par une affaire un peu similaire, celle du groupe français Vivendi Universal au bord de la banqueroute. Et dont la situation était qualifiée, quelques temps auparavant, par son médiatique président de "mieux que bien !"
Remarquable et effrayant ! Ou est-ce l'inverse ? Le documentaire d'Alex Gibney*, qui s'appuie sur l'ouvrage "The Smartest Guys in the Room: The Amazing Rise and Scandalous Fall of Enron" de Bethany McLean et Peter Elkind, décompose** les rouages de cette mécanique insensée, conduisant à la chute de la septième entreprise US qualifiée de "modèle" par la revue "Fortune", par le rappel précis et documenté de la chronologie des événements. En particulier grâce aux précieux témoignages d'acteurs et de témoins de ce désastre financier doublé d'une authentique tragédie humaine. Le parti pris de dramatisation est délibérément assumé par Gibney (par ailleurs scénariste de The Trials of Henry Kissinger et producteur de la série The Blues***) tout en y associant une tonalité de comédie, notamment par les choix visuels et musicaux.
Cette histoire réelle qui dé(sur)passe la fiction, remake pathétique de Un Genio, due compari, un pollo(les protagonistes reconnaîtront leur personnage !), illustre de manière saisissante le revers du rêve américain, de ce libéralisme sauvage fondé sur la déréglementation lorsqu'il n'est pas contrôlé par le pouvoir législatif et exécutif****. Après Fahrenheit 9/11, Enron constitue, de ce point de vue mais de manière plus allusive, une nouvelle accusation contre les dérives de l'administration Bush. Deux épisodes de ce film, globalement très bien construit, doivent impérativement être connus du plus grand nombre. Celui de l'incroyable guerre de l'énergie en Californie et les images de l'"expérimentation Milgram" destinée à mettre en évidence la cruauté potentielle de l'individu lorsqu'il est soumis à une autorité officielle. Electrisant !! 
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*nommé aux Academy Awards et "meilleur documentaire" de la Writers Guild of America.
**sans entrer dans le complexe détail de l'hallucinant 'monopoly' grandeur nature imaginé par le directeur financier Andrew Fastow.
***élément apportant un début d'éclaircissement sur la composition de la bande musicale.
****et dont les malversations sont cautionnées par les banques, les avocats et les cabinets d'audit.

lundi 27 mars 2006

Seal: One Night to Remember


"These things forever change us." (in "State Of Grace")

Seal
voir aussi les chroniques de Live at The Point et Live in Paris.
L'actualité de Seal est, depuis le concert parisien de juillet 2004, pauvre en nouveautés musicales. Il est vrai que le chanteur britannique, après avoir entretenu des relations assidues avec Tatjana Patitz et Tyra Banks, a épousé le 10 mai, sur une plage mexicaine, le top model allemand Heidi Klum devenant, dans la foulée, père d'un jeune Henry Günther. Entre ces deux événements majeurs mais d'ordre privé, Seal s'est donc produit dans sa nouvelle patrie d'adoption par alliance. Depuis, le jeune mari a dénoncé, dans une interview à un magazine, l'image de la femme dans les chansons et clips des rappers. Son nom a également été évoqué pour tenir le rôle de Solari, un criminel sud-africain collaborateur du Chiffre, dans le prochain James Bond, Casino Royale.

One Night to Remember
Enregistré le 4 juin 2005, veille du concert public, au Kesselhaus de Düsseldorf, une ancienne aciérie reconvertie en salle de spectacles, cette grosse production réunit donc, devant un parterre d'happy few (pas si few d'ailleurs puisque quatre cents personnes étaient invitées), le groupe de base du "Live in Paris" substantiellement appuyé par le Vox Artis Philharmonic Orchestra, formation classique ayant déjà accompagné, entre autres, Shania Twain ou Robbie Williams. Rien de très novateur sur le principe, sauf que la musique du descendant brésilo-nigérian est un terreau sur lequel une orchestration et des arrangements enrichis de ce type ne semblent pas constituer une dénaturation ou une artificielle pièce rapportée. Mais la valeur ajoutée n'est cependant pas flagrante.
La programme compile des titres des quatre disques de Seal, avec une légère prédominance accordée au premier album. Le chanteur reprend également les "Don't Let It Bring You Down" de Neil Young, "Everything Will Be Alright" des américains the Killers et offre une version personnelle d'une chanson de David Bowie datant de la fin des années 1960, "Let Me Sleep Beside You".
La prestation ressemble davantage à un show télévisé qu'à un concert traditionnel. Il faut dire que le public (de gala ?) convié est d'une grande placidité et d'une ferveur retenue. Impression renforcée par la mise en scène de Volker Weicker, un habitué des cérémonies du petit écran qui dirigera la prochaine finale du concours de l'Eurovision, le 20 mai à Athènes. Avec douze caméras haute-déf. et un système d'éclairage aussi sophistiqué, on aurait pu s'attendre à plus d'originalité, de percussion visuelles et moins de lacunes (les prises sont trop focalisées sur la vedette au détriment des autres musiciens, en particulier Chris Bruce qui n'apparaît presque pas à l'écran). On peut enfin regretter l'absence d'images, même avec des moyens plus modestes, issues du concert public. Au fait, ceux qui ont baptisé le spectacle savent-ils que c'est le titre d'un film de Roy Ward Baker prenant pour décor dramatique... le naufrage du 'Titanic' ?

Musiciens :

Guitare : Eric Schermerhorn
Claviers : Deron Johnson
Batterie : Ramy Antoun
Basse : Chris Bruce
Vox Artis Philharmonic Orchestra sous la direction de Mike Duke

Les titres :
1. Overture
2. The Beginning
3. Killer
4. Colour
5. Prayer For The Dying
6. Don't Let It Bring You Down
7. State Of Grace
8. Violet
9. Love's Divine
10. Let Me Sleep Beside You*
11. Crazy
12. Everything Will Be Alright
13. Still Love Remains*
14. Kiss From A Rose
15. Lullaby
16. Get It Together
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*titre ne figurant pas sur le CD.

vendredi 24 mars 2006

Yes: 9012 Live


"Breaking down the dreams we make
Real." (in "Cinema")

Yes
En six ans, de 1965 à 1970, la Grande-Bretagne a vu successivement naître six des plus grands groupes de l'histoire du rock (progressif comme on l'appelait à l'époque) : Pink Floyd, Genesis (1966-1975 puis 1975-1992), Jethro Tull, Yes, King Crimson et Emerson, Lake & Palmer. Formé à Birmingham par le chanteur Jon Anderson et le bassiste Chris Squire, Yes réunit alors Tony Kaye aux claviers, Peter Banks à la guitare et Bill Bruford à la batterie. Après un concert improvisé au Speakeasy Club de Londres en octobre 1968, le groupe assure la première partie du concert d'adieu de Cream au Royal Albert Hall, puis, au même endroit, celle de Janis Joplin avant de signer avec Atlantic Records, label sur lequel sort, en novembre 1969, leur premier album éponyme. Le style de Yes est singulier, immédiatement identifiable, caractérisé par des compositions sophistiquées et remarquablement arrangées, mêlant des influences folk et classiques, avec lesquelles la voix de fausset de Jon se marie harmonieusement.
"Time and a Word" paraît en août 1970. Bien qu'enregistré avec Peter Banks, c'est son remplaçant, Steve Howe, qui apparaît sur la pochette. Avec cet album et les prestations publiques qui suivent sa sortie, la popularité du groupe croît rapidement, phénomène conforté par leur participation au concert d'Iron Butterfly et la parution de leur troisième disque, "The Yes Album", en avril 1971, dont le niveau musical fait un saut qualitatif flagrant par rapport au précédent. "Your Move" entre dans les charts US et "Starship Trooper", "I've Seen All Good People", "Perpetual Change" et "Yours Is No Disgrace" deviennent des hits durables de leur répertoire. Plus que des chansons, ces titres sont conçus comme des œuvres symphoniques, souvent structurées en parties et laissant une large place à un contenu imagé, voir mystique.
Yes effectue, la même année, sa première tournée aux Etats-Unis en première partie de Jethro Tull. La préparation de l'album suivant doit s'interrompre lorsque Tony Kaye quitte le groupe pour rejoindre Peter Banks au sein de Flash, bientôt remplacé par le fantasque mais flamboyant Rick Wakeman. Dans cette configuration, qui ne va durer qu'un an, le groupe atteint, de l'avis de la majorité des amateurs du genre, un sommet instrumental et musical que traduit "Fragile", écrit et enregistré en deux mois seulement, l'un des deux meilleurs albums de cette période, classé numéro sept au Royaume-Uni et numéro quatre aux Etats-Unis. Avec "Roundabout", Yes surpasse désormais commercialement les grands rivaux Emerson, Lake & Palmer et King Crimson.
"Close to the Edge", sorti en septembre 1972, confirme le talent et le succès du groupe, atteignant, sans l'aide de single, respectivement les quatrième et troisième places en Angleterre et aux Etats-Unis. Les trois longues, riches et complexes compositions de l'album restent inoubliables pour ses auditeurs. D'autant qu'elles sont les dernières rythmées par la pulsation subtile et savante de Bill Bruford, recruté par Robert Fripp pour former un nouveau King Crimson. C'est à Alan White, un instrumentiste de session connu pour avoir joué avec le Plastic Ono Band de John Lennon, que revient la lourde charge de remplacer ce batteur mélodiste et technicien hors pair. Les meilleures captations de la tournée de promotion organisée à travers le monde sont réunies pour former le triple album "Yessongs".
La gestation de "Tales From Topographic Oceans" sera plus longue et laborieuse que celle des productions précédentes. Cette attente contribuera pourtant à en faire un disque d'or avant même sa sortie en janvier 1974 mais "Tales..." divisera la critique et le public comme jamais auparavant. Il est aussi à l'origine du départ, en juin 1974 soit à peine un mois après la sortie de son deuxième album solo, d'un Rick Wakeman devenu un membre essentiel du groupe. Le Suisse Patrick Moraz, à la personnalité nettement moins affirmée, notamment en public, le supplée en août et participe à la création du plus modeste "Relayer". Chris Squire et Steve Howe, puis les autres membres travaillant chacun à leur propre album solo, l'absence de Yes suscite l'émergence de groupes de substitution, tel Starcastle. Après deux autres productions plutôt moyennes malgré le retour provisoire de Wakeman, Anderson, en mars 1980, quitte à son tour un navire à la dérive sur lequel embarquent néanmoins le chanteur et guitariste Trevor Horn et le pianiste Geoffrey Downes. La dissolution du groupe est annoncée en avril 1981. Chris Squire et Alan White réunissent Tony Kaye et le guitariste sud-africain Trevor Rabin, devenu un prolifique auteur de musiques de films, au sein de Cinema, formation qui, après avoir convaincu Anderson de la rejoindre, servira de rampe de lancement au nouveau Yes et à un nouvel enregistrement, "90125".

9012 Live
Steven Soderbergh a vingt et un ans et ne possède encore aucune réalisation significative à son actif lorsqu'il est chargé de filmer l'un des concerts de clôture, donné le 28 septembre 1984 au Coliseum Bowl d'Edmonton (Alberta, Canada), de la longue tournée de promotion de ce dernier album. Sa seule expérience jusque là est celle, brève, de monteur free lance à Hollywood. Si sa captation n'annonce pas vraiment Sex, Lies, and Videotape, c'est bien un cinéaste qui est aux commandes, et de surcroît, visiblement un amateur de musique. Son travail est plutôt adroit, original et pertinent. En revanche, passée la surprise initiale, les incrustations et autres effets visuels associés au film deviennent vite lassants et la version expurgée s'impose pour ceux qui veulent réellement profiter du spectacle.
Celui-ci est d'ailleurs partiel puisque manquent huit des titres interprétés ce soir-là. La prestation est honorable mais l'amateur du premier Yes qui signe ces lignes a du mal à trouver une qualité et un charme identiques chez cet ersatz américanisé du groupe de 1972. Le doigté résolument rock de Trevor Rabin ne parvient pas à faire oublier les prouesses espiègles et chromatiques de Steve Howe, la frappe trivialement binaire d'Alan White les chausse-trapes rythmiques de Bill Bruford et la placidité de Tony Kaye l'exubérance baroque et démoniaque de Rick Wakeman.

Le groupe :
Chant : Jon Anderson
Basse, chant, : Chris Squire
Guitare, chant : Trevor Rabin
Batterie, percussions : Alan White
Claviers : Tony Kaye

Les titres :
1. Intro
2. Cinema
3. Leave It
4. Hold On
5. I've Seen All Good People
6. Changes
7. Owner of a Lonely Heart
8. It Can Happen
9. City of love
10. Starship Trooper
Bonus Song :
Roundabout