mardi 31 janvier 2006

Shout at the Devil (parole d'homme)


"Jeune, du cran et costaud"

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Zanzibar, octobre 1913. Le colonel Flynn O'Flynn recrute malgré lui Sebastian Oldsmith, citoyen britannique en transit dans le port de l'île de l'Océan Indien au cours de son voyage vers l'Australie. Le braconnier ivrogne a besoin de ses services pour ramener sa prochaine cargaison de défenses d'éléphants, chassés en territoire allemand, à bord du cotre qu'il a emprunté à son client El Keb. Mais la collecte est brutalement interrompue par le gouverneur prussien Herman Fleischer, ennemi personnel de Flynn qui est blessé à la jambe. Sauvé par Oldsmith, ils échappent ensemble à Fleischer mais leur bateau est peu après éperonné et coulé par le cuirassier "Blücher". Les deux hommes réussissent toutefois à atteindre Lalapanzi, la propriété de Flynn. La fille de ce dernier, Rosa, et Oldsmith s'éprennent bientôt l'un de l'autre. Au cours d'une expédition, le futur père de l'enfant de la jeune femme s'empare des impôts prélevés par Fleischer auprès des tribus de son territoire puis, avec Flynn, attaque en son absence le quartier général de l'officier teuton. La guerre en Europe vient d'éclater et Fleischer est, en effet, parti mener une opération punitive à Lalapanzi, de l'autre coté de la frontière.
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Le roman d'aventure du Rhodésien Wilbur Smith, auquel on doit également The Mercenaries de Jack Cardiff, est traité, dans ce troisième film de Peter R. Hunt, en grande partie sur le ton de la comédie. Il est vrai que l'intrigue romantico-guerrière n'a rien de particulièrement singulière et ce traitement, parfois un peu caricatural, lui confère un caractère de pur divertissement susceptible de séduire un large public. Le réalisateur y retrouve un Roger Moore, qu'il venait de diriger dans Gold, en goguette entre deux épisodes de la franchise James Bond dans un duo inédit avec Lee Marvin, cabot et un peu livré à lui même. La figure féminine est incarnée par la canadienne Barbara Parkins, surtout connue jusque là pour sa participation au serial mélodramatique Peyton Place. Tourné dans de jolis décors maltais et sud-africains, Shout at the Devil souffre de quelques longueurs mais donne l'occasion unique de voir Marvin et Moore s'affronter dans un pugilat comique et l'acteur britannique aux yeux bleus tenter sérieusement (?) de passer, après teinture, pour un indigène Africain.

lundi 30 janvier 2006

Le Petit voleur


"... On va se battre."

Parce qu'il arrive une fois de trop en retard à son travail, Esse, un jeune apprenti boulanger, est renvoyé par son patron. Ecœuré, révolté et résolu à ne plus jouer les larbins, il décide de prendre l'argent où il se trouve, à commencer par la paie de sa petite amie caissière Sandra. Il quitte Orléans pour Marseille et entre dans une bande de petits malfrats avec lesquels il participe à quelques cambriolages tout en s'adonnant à la boxe. Sylvain, dit 'Œil', un des principaux membres du groupe l'a à la bonne. Il l'héberge et lui confie, contre espèces, le soin de faire le ménage et les courses pour une vieille dame avant de le désigner à son frère, Tony, un truand d'un calibre supérieur, pour veiller sur sa prostituée.
Second long métrage* d'Erick Zonca et premier volet de la collection "Gauche/Droite"** diffusée en 2000 sur Arte, Le Petit voleur possède la sécheresse, narrative comme dans la captation, d'un documentaire. Tournage caméra à l'épaule, script apparemment assez ouvert, notamment au niveau des dialogues, le film ressemble davantage à un long reportage qu'à une fiction. Mais on perçoit cependant mal, derrière cette ellipse cinématographique vouée presque entièrement à la brutalité, le discours politique sensé animer les contributions de la série. De ce point de vue, La Voleuse de Saint-Lubin de Claire Devers ou Les Terres froides de Sébastien Lifshitz (programmé "à plus d'heure") semblent mieux répondre au cahier des charges de la thématique. Reste que Le Petit voleur décrit plutôt bien le parcours d'un post-adolescent sans racines, livré à lui-même. Les dangers du rêve, caressé par trop de jeunes gens, de l'argent facile et, dans cette perspective, la séduction opérée par la délinquance, antichambre de la criminalité, ne sont que trop réels. Ce qui est peut-être le plus frappant et certainement le plus inquiétant dans le traitement qu'en propose Zonca, c'est l'absence d'éducation et, dans une certaine mesure, d'humanité de ses personnages.
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*passant de peu le seuil avec un durée de 63'.
**avec, outre ceux cités dans la critique, Le Détour, Tontaine et tonton et Retiens la nuit.

Nouvelle-France


"... Cela m'arrange de le croire !"

Ceux qui, à la fin des années 1970, allaient au cinéma sans leurs parents se souviennent peut-être de la sélection à Cannes du troisième long métrage de Jean Beaudin et du prix d'interprétation féminine obtenu par son actrice principale, Monique Mercure(partagé avec Shelley Duvall). Près de trente ans et quelques réalisations plus tard, le cinéaste est chargé par une production internationale de diriger cette fresque historico-romantique dotée du plus gros budget du cinéma québécois. Librement inspiré d'une légende (?) locale, celle de Marie-Josephte Corriveau, pendue pour le meurtre de ses deux maris en 1763, Nouvelle-France n'a, semble-t-il, pas convaincu son public national (cantonné d'ailleurs à de la pure figuration au cours des "Jutra" et autre "Genie") et n'a connu, en France, qu'une courte exploitation en salles.
Nouvelle France, 1759. A la veille du traité de Paris du 8 septembre 1760 entre les couronnes française et britannique, cédant la Belle province à cette dernière, François le Gardeur, qui vient d'hériter de la charge de notaire paternelle, fait la connaissance sur un marché de la belle veuve Marie-Loup Carignan. Au moment même où il s'éprend d'elle, l'intendant Le Bigot confie le soin à sa maîtresse, Angélique de Roquebrune, de mettre la jeune femme dans son lit. En étudiant les papiers de son père, le Gardeur découvre les malversations dont celui-ci se serait rendu complice pour le compte de l'intendant et il s'en ouvre auprès du gouverneur. Ce dernier lui propose d'aller en France rencontrer la Marquise de Pompadour pour l'éclairer sur les différents aspects de la situation à l'est de l'Acadie. Au cours d'un bal donné chez Angélique de Roquebrune, pendant que Marie-Loup résiste aux pressions de son hôtesse dévouée à Le Bigot, le Gardeur dévoile, sous le sceau du secret, à son ami Xavier Maillard son prochain voyage et ses motivations. Les documents compromettants pour l'intendant sont peu après saisis et le Gardeur, recherché par la milice, fait parvenir à Marie-Loup un billet lui proposant d'embarquer avec lui. Ne sachant pas lire, la jeune femme demande au curé Thomas Blondeau de le faire à sa place. Mais celui-ci, pour de troubles raisons, invente le texte d'une lettre d'adieu.
A vouloir imiter, avec tout au plus le tiers des ressources, les productions des studios étasuniens, les œuvres européennes et des autres pays dans la zone d'influence de l'ingérant voisin y perdent leur âme. La France a connu (et connaîtra encore) ses spécimens. Outre-Atlantique, Nouvelle-France est de celles-là. Et pourtant, il est objectivement difficile de blâmer le film de Jean Beaudin. La double intrigue, sentimentale et politique, n'est pas sans intérêt, la réalisation est soignée, notamment au niveau de la photographie. Les acteurs sont séduisants et jouent plutôt bien, en particulier les plus jeunes. Alors pourquoi faire la fine bouche ? Parce que, avec le recul et pour rester dans la métaphore culinaire, cela ressemble trop à feu la "Nouvelle cuisine". C'est joliment présenté mais on sort de table affamé. L'histoire, telle qu'elle est scénarisée et narrée, aurait pu servir à alimenter les multiples épisodes d'une saga télévisée estivale. La tonalité générale est un peu mièvre, cela manque de souffle, de percussion. En un mot, de lyrisme (qui a dit Dion ?). Défaut non compensé, sur le même thème, par le score de Patrick Doyle(que l'on a déjà entendu plus inspiré), banalement emphatique. Dans cet état, et malgré la beauté de ses paysages, nous avons peut-être bien fait de l'abandonner, cette Nouvelle-France !*
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*ne dit-on pas joke pour plaisanterie en québécois ?!!

Stormy Weather


"Je crois que je n'ai pas compris grand chose."

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Il aura donc fallu attendre cinq ans, après Haut les cœurs !, pour retrouver Solveig Anspach dans une œuvre de fiction. Stormy weather a d'ailleurs été initialement envisagé par la cinéaste d'origine islandaise comme un documentaire tiré d'un fait divers. C'était pour elle, également, l'occasion d'évoquer d'anciennes expériences personnelles et de revenir sur son île natale. Cofinancé par les frères Dardenne et par Blueeyes, la société de production du réalisateur Baltasar Kormaku qui apparaît dans le rôle d'Einar, le film a été présenté en sélection officielle de la section "Un Certain regard" du Festival de Cannes 2003.
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Cora, un jeune docteur en psychiatrie, est intriguée par la présence dans son service d'une femme au comportement étrange. Celle-ci, dont personne ne connaît l'identité et enfermée dans un mutisme quasi total, est capable de réactions violentes lorsqu'elle se sent agressée. Cora devient responsable de son traitement et il naît entre la thérapeute et sa patiente une relation de confiance et même d'amitié qui dépasse le strict cadre professionnel, permettant au médecin de noter des progrès encourageants. Un matin, Cora apprend la reconduite, suite à une recherche auprès de l'Interpol, de sa patiente dans son pays. Cora décide de partir pour Vestmannaeyjar, une petite île islandaise, retrouver celle dont elle connaît à présent le prénom, Lóa.
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Il est drôle de constater la manière dont les récits consacrés à des êtres touchés par des troubles schizophréniques suscitent des appellations atmosphériques. C'était notamment le cas de Rain Man. Une manière de signifier, symboliquement, la tempête ou la pluviosité intérieures chez ces individus. Stormy weather est plus subtil mais aussi infiniment plus sibyllin que le film aux quatre "Oscars" signé en 1988 par Barry Levinson. On pourrait presque dire qu'il ressemble, comme le suggère d'ailleurs son introduction, à une aquarelle aux froides tonalités sur laquelle on croît reconnaître des formes. Le scénario nous livre assez peu de pistes sur les personnages, leur passé, leur destin. C'est probablement, et paradoxalement, ce qui fait une partie du charme du film. Est-ce le droit ou le devoir du médecin à soigner sa patiente qui motive le docteur Cora Levine ? Est-ce l'énigme que constitue Lóa Sugurdardóttir ou l'attirance solaire qu'elle exerce sur elle qui la pousse à partir pour cette aventure insensée ? La réponse est peut-être à la fois plus simple et plus réjouissante.
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Comme la chanson éponyme d'Harold Arlen et de Ted Koehler créée par Ivie Anderson en 1925 et reprise par d'innombrables artistes dont Frank Sinatra et Billie Holiday parmi les premiers et notables, Stormy weather est, comme l'atteste la dernière rencontre entre les deux personnages principaux du film, une histoire d'amour et de vérité. Cora, ayant expérimenté à plusieurs occasions sa relative impuissance, peut enfin se résoudre à quitter l'île volcanique de Lóa lorsqu'elle a le sentiment que celle-ci n'a plus une relation de dépendance mais d'affection vis à vis d'elle.
Les qualités de documentariste de Solveig Anspach sont incontestables et elle s'en sert pour donner à son film ces apparents détachement et véracité qui participent à son l'intérêt. Celui-ci est toutefois moins vif que ceux produits par An Angel at My Table ou Le Huitième jour mais réel. Notons enfin les belles prestations d'Elodie Bouchez, toute en naturel et en sincérité, et de la débutante et expressive Didda Jónsdóttir.