dimanche 30 octobre 2005

Tess


"Pourquoi avez-vous cette étrange attirance pour le malheur ?"

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L'idée de porter à l'écran "Tess of the d'Urbervilles", le roman de Thomas Hardy paru en 1891, aurait été celle de Sharon Tate, l'épouse de Roman Polanski. Sorti dix ans après sa tragique disparition, le film lui est d'ailleurs dédié. L'ouvrage avait déjà été, à l'époque du muet, adapté à deux reprises. Classique mélodrame romantique situé dans l'Angleterre victorienne, Tess est une œuvre plaisante, surtout sur le plan visuel, mais moins convaincante que Far From the Madding Crowd de John Schlesinger, tiré du même auteur. Cette production franco-britannique a surtout révélé la jeune Nastassja Kinski, qui venait d'être la partenaire de Marcello Mastroianni dans un film assez quelconque d'Alberto Lattuada. Récompensé par trois "César" (meilleurs film, réalisateur et photographie) en 1980, Tess avait la particularité d'être sélectionné dans deux des catégories majeures des Academy Awards et des Golden Globes (subissant à chaque fois la loi d'Ordinary People, le premier film du réalisateur Robert Redford) et dans celle des films étrangers de cette dernière compétition.
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John Durbeyfield, un pauvre et éthylique revendeur de produits fermiers, apprend d'un prêtre versé en histoire et en généalogie, qu'il descend en ligne directe des chevaliers d'Urbervilles. Lui et sa femme ont alors l'idée d'envoyer leur fille aînée de six enfants, Teresa (Tess), demander du travail à une parente installée dans le manoir de Trantridge. Elle y rencontre son "cousin" Alexander (Alec), le fils de Mrs. d'Urbervilles, laquelle lui confie un emploi dans son poulailler. Tess apprend bientôt que le nom d'Urbervilles a, en réalité, été acquis par le défunt mari, né Stoke, de sa patronne. Un soir, revenant d'une fête au village, elle est abusée par Alec et en devient la maîtresse. Enceinte, elle le quitte, quatre mois plus tard, pour aller travailler dans les champs près de chez elle. Mais son enfant meurt et elle part alors rejoindre la laiterie de Mr. Crick où elle retrouve Angel Clare, le fils d'un pasteur, croisé fugitivement dans un bal champêtre et dont elle s'éprend. Les deux jeunes gens se marient malgré l'opinion défavorable des parents du garçon. La nuit de noces, Tess, encouragée par une confession de son nouvel époux, relate les mésaventures qu'elle n'a jamais osé lui avouer par peur de le perdre. Désillusionné, Angel lui demande de partir et décide de s'embarquer pour le Brésil.
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Tourné en France où Polanski était venu se réfugier en raison d'ennuis judiciaires aux Etats-Unis, Tess manque de ce souffle dramatique, de cette saisissante vibration lyrique d'un Wuthering Heights ou du récent Days of Heaven, susceptibles d'emporter une adhésion sans borne de la part du spectateur. Ce long (près de trois heures) portrait de cette jeune femme victime de son temps et de sa condition sociale n'est pas sans intérêt et la photographie de Geoffrey Unsworth et Ghislain Cloquet, fidèle aux atmosphères grises et brumeuses du livre, est réussie. Mais cela suffit-il à faire un réel bon film ? Le réalisateur et ses scénaristes n'auraient-ils pas dû prendre quelques libertés par rapport au roman, en évoquant, de manière moins anecdotique*, les mutations économiques et sociales qui intervenaient en ce milieu du XIXe siècle ? Quant à l'actrice principale, relativement bien entourée, notamment par quelques uns des nombreux seconds rôle, son talent réside principalement dans la qualité de son regard.
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*la mécanisation du travail et des transports ou la naissance du socialisme sont seulement suggérées.

mercredi 26 octobre 2005

Akoibon


"- ... Du coq à l'âne...
- Sans queue ni tête.
- Oui, mais coq à l'âne c'est plus joli, il y a des animaux, non ? "

La trajectoire du sympathique Edouard Baer réalisateur illustre la difficile transition entre la radio-télévision et le cinéma. Qu'on le veuille ou non, le langage de ce dernier est différent, la durée et la continuité y sont essentielles. S'il avait pu, plus ou moins, surprendre avec son premier long métrage, l'ancien partenaire d'Ariel Wizman, avec cet Akoibon au titre un tant soit peu masochiste*, a du mal à convaincre, au-delà du cercle de fidèles, de la valeur et de la pérennité de son humour et de la douceur de sa folie. Baer serait-il victime de son atypie cultivée ?
Nader et son ami Christophe sont brutalement enlevés par quatre individus alors qu'ils vendent des chaussures de sport à la sauvette. Emmenés dans un théâtre, ils rencontrent l'inquiétante Madame Paule et ses sbires. En échange de la libération de son ami, Nader se voit confier la mission de permettre la capture de Chris Barnes, un ancien acteur de la jet set sur le déclin et propriétaire d'un hôtel, la "Villa Mektoub", sur l'île de Santa Esmeralda. Sur le bateau qui l'emmène à destination, Nader croise Daniel Stain, un architecte éthéré et indécis ayant abandonné sa femme en salle d'accouchement et sa famille nombreuse pour rencontrer Betsy avec laquelle il a correspondu sur le net. Parce qu'il redoute cette rencontre, il se laisse convaincre d'échanger son identité avec Nader.
En se montrant sévère, car il n'est pas foncièrement déplaisant, on peut affirmer qu'Akoibon est le modèle de ce qu'il ne faut pas faire au cinéma. Réunir un joli casting et composer un bout-à-bout de sketchs n'a jamais fait un bon film. Et il manque le plus important : une histoire. En voulant rompre à tous prix avec les conventions, multiplier les références plus ou moins fines (la tardive reprise du score de North by Northwest par ex.), Edouard Baer prend le risque de se perdre et... de n'arriver nulle part. Il y parvient presque. Il prend aussi celui de nuire à ses acteurs. Jean Rochefort avait-il besoin de ce rôle un peu pathétique pour affirmer son talent d'acteur de comédie capable de loufoquerie ? L'image de Marie Denarnaud, appréciée dans Les Corps impatients, ne sera-t-elle pas troublée par ce personnage sans consistance qu'elle doit assumer ? Chiara Mastroianni serait-elle à cours de propositions de tournage depuis le bien plus intéressant Il est plus facile pour un chameau... pour devoir accepter d'être l'épouse sans charme du personnage joué par Benoît Poelvoorde, cantonné lui dans son registre habituel ? Ces deux derniers nous offrent pourtant la scène la plus drôle du film, avec une malicieuse substitution de "jouir" par "jouer". Sans parler de la mise en abyme, intervenant une heure après le début du film, qui tient plus de celle de la "vache qui rit" que de La Nuit américaine.
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*même, et surtout, s'il est inspiré d'une chanson de Gainsbourg !




lundi 24 octobre 2005

George Harrison and Friends: The Concert for Bangladesh


"Now I'm asking all of you to help us save some lives." (in "Bangladesh")

Contexte
Le Bangladesh, précédemment appelé Pakistan oriental au moment du transfert de souveraineté intervenu le 15 août 1947 entre le Royaume-Uni d'une part, l'Inde et le Pakistan d'autre part, déclare son indépendance le 26 mars 1971. Distant de près de mille sept cent kilomètres du Pakistan occidental, il se voit imposer la loi martiale et est occupé par l'armée pakistanaise. La guerre civile éclate, dix millions de réfugiés se rendent en Inde, des centaines de milliers de civils sont tués. (l'Inde, qui soutient le Bangladesh, enverra des troupes le 3 décembre 1971. Après une guerre de quinze jours, la troisième guerre entre les deux pays, les troupes pakistanaises se rendront le 16 décembre 1971 et un cessez-le-feu sera décrété) La situation humanitaire, déjà complexe, est dramatiquement compliquée par les pluies torrentielles qui s'abattent sur le pays.
Le musicien Bengali Ravi Shankar demande alors à son ami George Harrison, l'ex-membre des Beatles*, de l'aider à trouver des fonds pour au moins ralentir le désastre humain en cours. Celui-ci enregistre le titre "Bangladesh" et convainc sa maison de disques de sortir "Joi Bangla" de Shankar. Dans la foulée, deux concerts sont organisés le même jour au Madison Square Garden de New York. Sollicité, John Lennon accepte puis quitte la ville deux jours avant le concert. Paul McCartney refuse pour de triviales raisons juridiques liées à la scission des Beatles. Du groupe, seul Ringo Starr participera à l'événement. Egalement espéré, Mick Jagger doit renoncer parce qu'il ne peut obtenir un visa d'entrée sur le territoire US.
Le premier concert de charité de l'histoire du rock est sur les rails. Parmi les musiciens présents sur scène ce 1er août 1971, Eric Clapton dans sa première apparition en public depuis la fin de l'expérience Derek and the Dominos en décembre 1970 et sous l'emprise de quelques substances prohibées (il s'évanouira d'ailleurs pendant le concert), l'artiste soul et R&B américain Billy Preston, qui accompagnait les Beatles sur "Let It Be", Leon Russell, le musicien de Jerry Lee Lewis, Phil Spector(le coproducteur musical du concert) et manager-compositeur de Joe Cocker, l'allemand Klaus Voormann, un proche des Beatles, le créateur de la pochette de "Revolver" et, notamment, le remplaçant de Jack Bruce auprès de Manfred Mann. Sans oublier, bien sûr, Bob Dylan absent des scènes depuis le Festival de l'Ile de Wight en août 1969.
(voir également Concert for George)

Concert
Après une introduction de George Harrison, en conférence de presse, sur les motivations du concert, celui-ci débute par la partie indienne (Ravi Shankar, Akbar Khan, Ustad Alla Rakah, Kamala Chakravarty) d'un peu plus d'un quart d'heure (écourtée par rapport à la prestation réelle), suivie par un programme qui fait la part belle à l'organisateur et à son premier triple album solo, "All Things Must Pass", sorti fin novembre 1970. Trois titres des Beatles sont également repris, dont "Here Comes The Sun" en duo acoustique avec Pete Ham, le fondateur des Badfinger. La contribution spécifique de Bob Dylan, accompagné à la guitare par Harrison et à la basse par Russell, ne comporte que quatre morceaux, "Mr. Tambourine Man", joué l'après-midi et figurant sur l'album, est ici absent (voir aussi critique DVD).
De manière évidente, l'importance politique, au sens noble du terme, de l'événement dépasse l'intérêt musical du concert. Sans sa dimension caritative et malgré la notoriété des musiciens, celui-ci ne serait pas resté durablement dans les mémoires (il n'aurait, tout simplement, pas eu lieu !). Les interprétations sont correctes, sans plus, et il ne se passe pas grand chose sur scène mis à part le pas de danse esquissé par Preston à la fin de son morceau. La réalisation, confrontée à de visibles problèmes techniques, est assez statique, multipliant les gros plans sur les visages et ratant par exemple, probablement par manque de prise correcte, le solo de guitare sur "It Don't Come Easy". Quelques rares images de préparation, de répétition ou d'actualité sont incorporées au métrage.
Les deux concerts ont réuni environ quarante mille personnes et rapporté à l'Unicef près de deux cent cinquante mille dollars. Les ventes de disques, les royalties des artistes et les recettes de diffusion du film ont atteint plus de quinze millions de dollars.

Le groupe :
Batterie : Ringo Starr & Jim Keltner
Basse : Klaus Voormann & Carl Radle

Guitare : George Harrison, Jesse Ed Davis, Eric Clapton, Don Preston & The Badfinger
Piano : Leon (Russell)
Cuivres : The Hollywood Horn Players dirigés par Jim Horn 
Orgue : Billy Preston
Chœurs : The Soul Choir dirigé par Don Nix

Les titres :
1. Bangla Dhun (Ravi Shankar, sitar - Ustad Ali Akbar Khan, sirod)
2. Wah-Wah (vocal : G. Harrison)
3. My Sweet Lord (G. Harrison)
4. Awaiting On You All (G. Harrison)
5. That's The Way God Planned It (Billy Preston)
6. It Don't Came Easy (Ringo Starr)
7. Beware Of Darkness (G. Harrison & Leon Russell)
8. présentation du groupe
9. While My Guitar Gently Weeps (G. Harrison)
10. Jumpin' Jack Flash (Leon Russell)
11. Youngblood (L. Russell & Don Preston)
12. Here Comes The Sun (G. Harrison)
13. A Hard Rain's Gonna Fall (Bob Dylan)
14. It Takes A Lot To Laugh/It Takes A Train To Cry (B. Dylan)
15. Blowin' In The Wind (B. Dylan)
16. Just Like A Woman (B. Dylan)
17. Something (G. Harrison)
18. Bangladesh (G. Harrison)
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*la séparation officielle du groupe intervient le 10 avril 1970 lorsque McCartney, à l'occasion de la sortie de son premier album solo, annonce son départ. En réalité, les Beatles n'ont plus joué en semble depuis août 1969. Le matériel de "Let It Be", considéré comme leur ultime disque, a été enregistré plusieurs mois avant le précédent, "Abbey Road".