lundi 29 novembre 2004

5 Fingers (l'affaire cicéron)


"Diello, seriez-vous capable, un jour, d'oublier quelque chose ?"

Pressé de mettre fin à son contrat avec la Fox, Joseph L. Mankiewicz adresse, une semaine à peine après l'achèvement de People will talk, une lettre à Darryl F. Zanuck, pour lui formuler son souhait de porter à l'écran l'adaptation du livre de L. C. Moyzisch, "Operatio Cicero". Le producteur accepte de lui confier le projet dont Henry Hathaway avait déjà commencé la préparation. Mais le motif apparent de cet empressement ne dissimule pas l'intérêt réel que portait le metteur en scène à l'incroyable histoire relatée par l'ouvrage. Au moment où le scénario est rédigé, on ne connaît pas encore la véritable identité de son personnage principal. Ce n'est, en effet, qu'en 1960 qu'Elyesa Bazna publiera ses mémoires et lèvera le voile sur certains éléments des événements. L'adaptation de Mankiewicz est assez libre. La date initiale et certains faits relatés ont été modifiés de même que quelques personnages ont été soit supprimés soit, comme von Richter et la comtesse Staviska, ajoutés. Mais c'est surtout l'importance et la qualité de Diello qui constitue la modification le plus importante du film par rapport au livre, reléguant à une terne seconde place le personnage de L. C. Moyzisch. En lice pour les Oscars 1953 du meilleur réalisateur et du meilleur scénario (remportés respectivement par John Ford pour The Quiet Man et Charles Schnee pour The Bad and the Beautiful), 5 Fingers permit à Michael Wilson de recevoir un Golden Globe pour son script.
Le 18 octobre 1950, la question d'un député britannique au Ministre des Affaires étrangères sur la véracité des informations rapportés par "Operatio Cicero" oblige celui-ci à confirmer, dans un langage parfaitement politique et diplomatique, la réalité de ces ventes de secrets militaires de première importance aux allemands relatées dans le livre. Retour au 4 mars 1944, à Ankara, capitale de la Turquie neutre dans le conflit qui secoue l'Europe. Diello (James Mason), le valet de chambre de l'ambassadeur d'Angleterre, propose des photographies de documents secrets alliés à l'attaché de l'ambassade d'Allemagne, Moyzisch (Oscar Karlweis). Ce dernier est chargé d'obtenir l'accord de ses supérieurs à Berlin et, en cas de réponse favorable, de lui fournir la forte somme réclamée. Diello, qui reçoit le nom de code de "Cicéron", devient, une fois la première transaction réalisée et après vérification de la qualité des informations fournies, un fournisseur régulier de renseignements aux autorités nazis. Il offre à la comtesse Anna Slaviska (Danielle Darrieux), veuve ruinée d'un comte polonais pro-allemand dont il était le domestique, de s'associer avec lui en lui servant de facade. L'objectif de Diello est, une fois fortune faite grâce à son affaire d'espionnage, de partir au Brésil. Mais les Anglais s'aperçoivent bientôt de certaines fuites et envoie à Ankara un enquêteur, George Travers (Michael Rennie), chargé d'en trouver le responsable.
Cette histoire semble avoir été construite de toutes pièces pour Mankiewicz ; surtout lorsque l'on en connaît les aboutissants. Le réalisateur est dans son élément et même s'il ne signe pas officiellement le scénario, 5 Fingers lui doit l'essentiel, en particulier des dialogues dont la qualité ne laissent aucun doute sur leur auteur. Dans ce film d'espionnage tourné en studio, qui est tout à la fois une comédie et un thriller, Mankiewicz développe des thèmes qu'il affectionne : pouvoir et servilité, argent et duperie, amour et duplicité. Mais c'est surtout la dérision qui est le moteur de cette farce sérieuse. Et, dans une certaine mesure, le film est plus proche du To Be or Not To Be de Lubitsch que des plus récents Ministry of Fear de Fritz Lang ou The House on 92nd Street d'Hathaway. James Mason, qui venait de tenir pour le même studio le rôle de Rommel dans Desert Fox, est excellent dans le premier de ses deux films avec le réalisateur. En domestique intelligent, doté d'une efficacité presque obsessionnelle, il sublime un personnage dont la réalité était beaucoup plus terne. Jolie et convaincante prestation de Danielle Darrieux également, dans son second film à Hollywood, l'actrice remplace Alida Valli pressentie et Micheline Presle qui a refusé le rôle. A noter enfin le score de Bernard Herrmann qui, avant sa collaboration avec Hitchcock, est déjà reconnaissable à l'utilisation particulière qu'il fait des cordes. 

Emerson, Lake & Palmer: Live at Montreux


"Maybe I might have changed
And not been so cruel." (in "From The Beginning")

Emerson, Lake & Palmer

Né dans le proche sillage de son compatriote de Birmingham Yes, Emerson, Lake & Palmer est, comme lui, un des groupes les plus importants du progressive rock des années 1970. C'est la rencontre fortuite, au cours d'un concert commun de leur formation respective à Fillmore West en 1969, de Keith Emerson, titulaire des claviers de Nice et du bassiste et chanteur de la troisième version de King Crimson, Greg Lake, qui est à l'origine du groupe. Laquelle n'interviendra qu'en 1970, lorsque King Crimson se recomposera à nouveau après sa première tournée américaine. Le duo se met alors à la recherche d'un batteur (Mitch Mitchell, célèbre pour avoir rythmé les envolées lyriques d'un certain Jimi Hendrix, est auditionné) et arrête son choix sur Carl Palmer, celui du groupe expérimental de Vincent Crane, Atomic Rooster.
Les premières prestations publiques du groupe sont un concert au Plymouth Guildhall et une participation au festival de l'Ile de Wight en août 1970, suivi, en novembre, par la sortie de leur premier album simplement intitulé "Emerson, Lake & Palmer". Celui-ci entre rapidement dans le 'Top 5' des charts anglais et se classe parmi les vingt meilleurs disques aux Etats-Unis. "Tarkus", dans les bacs en 1971, explore déjà d'autres horizons musicaux, Keith Emerson s'employant notamment à pousser dans leurs derniers retranchements les ressources de ses synthétiseurs Moog. La densité du morceau qui a donné son titre à l'album, utilisant de multiples overdubs et souvent associé à une adaptation des "Tableaux d'une Exposition" de Modest Moussorgski, aura beaucoup de mal à être fidèlement retranscrite pendant les concerts du groupe. Cette caractéristique deviendra d'ailleurs une constante chez ELP.
"Trilogy" et surtout "Brain Salad Surgery" seront les albums de la maturité du groupe, juste avant qu'il ne connaisse une brutale chute créative se traduisant par des disques décevants, voire médiocres et, finalement, par sa disparition en décembre 1979. Au milieu des années 1980, Emerson* et Lake se retrouvent, associés au batteur Cozy Powell, pour un concert qui donnera lieu à un album live. En 1991, Emerson, Lake & Palmer est à nouveau réuni pour enregistrer "Black Moon" et sillonne, jusqu'en 1998, les routes pour donner des concerts ou participer à des festivals.

Live at Montreux

En 1997, une tournée emmène Emerson, Lake & Palmer à travers le monde. A Paris (Elysée Montmartre) le 2 juillet, le groupe de produit le 7 juillet dans le cadre du célèbre Festival de Montreux. Il y reprend un programme assez classique, constitué des titres significatifs de la carrière initiale du groupe. Ce qui frappe assez rapidement, c'est que, contrairement à celui d'autres groupes contemporains, le répertoire d'ELP a vieilli prématurément, peut-être à cause de son recours immodéré aux synthétiseurs et aux excès sonores d'Emerson dans ce registre. Le concert est également handicapé par un mixage assez peu équilibré, privilégiant trop les claviers, et une mise en images faiblement inspirée. Il faut reconnaître, à la décharge du réalisateur, que la mise en scène du groupe est particulièrement statique... pour ne pas dire inexistante.

Le groupe :
Claviers : Keith Emerson
Basse, chant : Greg Lake
Batterie : Carl Palmer

Les titres :

1. Karnevil 9-1st./Impression Part.2
2. Tiger In The Spotlight
3. Hoedown
4. Touch And Go
5. From The Beginning
6. Knife Edge
7. Bitches Crystal
8. Dance Creole (K. Emerson seul)
9. Honky Tonk Train Blues
10. Take A Pebble
11. Lucky Man
12. Tarkus/Pictures At An Exhibition
13. Medley:
- Fanfare For The Common Man
- Rondo
- Carmina Burana
- Carl Palmer's Drum Solo
- Toccata In D Minor
___
*compositeur des scores d'Inferno et des Faucons de la nuit.

Opération Cicero


Etrange et amusant de voir un téléfilm reprendre le script, dans une version, certes, abrégée (et ne respectant pas tout à fait la chronologie), certains décors et quelques prises de 5 Fingers. L'acteur d'origine mexicaine Ricardo Montalban y reprend le rôle de Diello, Peter Lorre et Maria Riva, la fille de Marlene Dietrich, respectivement ceux de Moyzisch et de la comtesse Anna Slaviska. Réalisé par Hubert Cornfield, né en... Turquie (et dont les parrains cinématographiques ne sont rien moins que Billy Wilder, William Wyler et Joseph L. Mankiewicz), Operation Cicero n'a pas la qualité de son modèle mais se laisse regarder sans déplaisir.