mardi 31 août 2004

Keoma


"Un homme libre ne peut pas mourir."

La production cinématographique italienne est en fort repli pour la deuxième année consécutive. La fréquentation des salles subit de plein fouet le phénomène, amplifié par le triomphe du petit écran. Seuls six westerns sont tournés en Europe en 1977. Parmi ceux-ci, Una Donna chiamata apache de George Mc Roots alias Giorgio Mariuzzo, Masacre en condor pass, une production germano-espagnole avec Hardy Krüger et ce Keoma, qui ne fait pas une brillante carrière commerciale mais devient un film-culte, en particulier en France.
Keoma (Franco Nero) revient de la guerre sur les lieux de son enfance. Métis indien, unique survivant d'un massacre, il avait été alors recueilli par William Shannon (William Berger). Les trois fils de celui-ci en font leur souffre-douleur car ils jalousent l'amour de leur père pour lui. Dans le village dévasté, la peste s'est installée et les malades sont regroupés à l'extérieur, près d'une ancien mine. Caldwell (Donald O'Brien), qui prétend posséder la région, y fait régner avec ses hommes une atmosphère de misère et de violence. Keoma, après avoir sauvé une femme enceinte (Olga Karlatos), va s'opposer à lui et à ses frères qui font, provisoirement, cause commune.
Une tentative de recréer un héros à la Django, en reprenant l'acteur qui l'avait incarné le premier, mais dans l'air du temps. Toujours meurtri, davantage sur le plan psychologique que physique cette fois, Keoma est un personnage mélancolique et mystique, porteur d'un message en faveur des minorités... mais encore prodigieusement habile dans le maniement des armes. Plus que pour son scénario un peu lent et bavard (de formules toutes faites), utilisant la plupart des thèmes classiques du genre, le film vaut pour sa réalisation, quoique un peu démonstrative, avec ses superbes paysages, ses ralentis, ses lents travelling circulaires et autres recours au flare à la mode depuis le début des années 1970. L'utilisation ponctuel du flash-back (notamment celui où Keoma adulte croise l'enfant qu'il était) et de certaines ambiances fantastiques (qui introduisent le personnage de la vieille femme qui symbolise la mort) est également un atout. On est, en revanche, nettement moins sensible au charme de la bande originale des frères De Angelis, essentiellement constituée d'une ballade censée faire écho aux événements du film et inspirée du répertoire cohen-baezien. Le casting, emmené par un Franco Nero plutôt efficace, nous permet de revoir un des grands seconds rôles américains, Woody Strode (The Ten Commandments, Spartacus, The Man Who Shot Liberty Valance, C'era una volta il West ... excusez du peu !).

El Chuncho, ¿quién sabe? (el chuncho)


"Pour services rendus."

Année faste pour le western italien, 1966 marque également le début d'une ambition que l'on n'avait pas encore imaginée : celle de faire un cinéma, certes toujours populaire, mais dont le style et la qualité ne sont pas négligés. Il Buono, il brutto, il cattivo et Django (voir critique) en sont les meilleures illustrations de cette évolution... et les plus grands succès publics. Damiano Damiani, dont c'est le premier des deux westerns, emprunte, avec ce El Chuncho, ¿quién sabe?, la voie du film politique dont Confessione di un commissario di polizia al procuratore della repubblica et L'Istruttoria è chiusa: dimentichi seront, au début des années 1970, les pièces maîtresses.
Au Mexique, en 1910, armées gouvernementale et révolutionnaire s'opposent farouchement, faisant quotidiennement son lot de victimes. Un américain, le "gringo" Tate (Lou Castel) monte à bord d'un train de passagers chargé d'armes et de soldats mexicains. Le train est bientôt attaqué par Chuncho (Gian Maria Volonté) et ses hommes. Le gringo participe à l'attaque en stoppant le convoi. Après s'être passé une paires de menottes, il fait croire à Chuncho qu'il est recherché aux Etats-Unis et on accepte qu'il se joigne à la bande. Constituée d'aventuriers à mi chemin entre bandits et rebelles, celle-ci vole des armes pour les revendre au général Elias, le chef de la révolution. Baptisé El Nino par Chuncho, l'américain participe à plusieurs raids contre des garnisons nationales. Le stock d'armes représente à présent une belle somme. Avant de se rendre à la cache du général Elias, la troupe fait étape à San Miguel qui, par la lutte, a réussit à retrouver sa liberté. Mais certains des membres, notamment Adelita (Martine Beswick), adroitement convaincus par El Nino, trouvent que l'on y passe trop de temps. Ils partent, sans Chuncho, en emportant les armes, précisément au moment où la ville va être attaquée par les forces gouvernementales. El Santo (Klaus Kinski), un des hommes clés du groupe et l'un des plus sincères dans ses convictions révolutionnaires, reste à San Miguel. Chuncho, prenant prétexte d'aller récupérer la mitrailleuse emportée par ses hommes, les rejoint.
Trois titres pour un seul film ? Cela fait un peu trop. L'énigmatique "Quien sabe ?" a ma préférence, au détriment du peu subtil et révélateur "A Bullet for the General" anglo-saxon. El Chuncho est une histoire de mercenaires qui dénonce intelligemment l'ingérence états-unienne dans la politique intérieure des pays de sa périphérie. Il est aussi la confrontation entre deux personnages que tout oppose. Un "nordiste" cérébral et machiavélique, pour lequel la fin justifie presque tous les moyens et un "sudiste" instinctif et sincère, capable d'une réelle prise de conscience politique. Si le traitement est relativement classique, l'intérêt narratif, le rythme enlevé et la qualité du casting permettent de suivre les plus de deux heures du film sans aucune difficulté, et même d'y prendre un authentique plaisir. Certainement plus grand que celui procuré par le Villa Rides de Buzz Kulik qui reproduisait un duo presque identique. Dans le deuxième de ses trois films tournés avec Damiano Damiani, Gian Maria Volonté développe une composition qui alterne exubérance brutale et vulgaire (voir, à ce propos, la critique DVD) et sensibilité, faisant à nouveau la preuve, dans un personnage archétypal donc délicat, de ses grands talents d'acteur (engagé !). Klaus Kinski, qui apparaît assez peu à l'écran, marque toutefois le film de sa forte présence après son rôle de tueur bossu dans Per qualche dollaro in più. Enfin Lou Castel donne toute l'ambiguïté presque antipathique nécessaire à ce rôle ingrat de "gringo".

Orme rosse


Un court-métrage sans dialogue et qui ne dépasse pas souvent le niveau des pieds.
Un homme arrive en ville avec un sac rempli de billets de banque. Il s'achète un paire d'éperons dorés qui deviennent vite l'objet de convoitise de deux autres cowboys. On se tire dessus, on se poignarde... et c'est finalement un enfant qui va tirer les marrons du feu !
Un clin d'œil volontairement caricatural et drôle au western italien, utilisant des cascadeurs et une citation musicale de C'era una volta il West

dimanche 29 août 2004

Django


"Je ne suis pas tout seul."

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Moins connu que Leone, l'autre Sergio du western italien possède néanmoins des inconditionnels, amateurs de son style. Moins méticuleux que son collègue, avec lequel il a d'ailleurs travaillé sur le péplum Gli Ultimi giorni di Pompei, voire même parfois négligeant, Corbucci séduit par son audace, son exubérance créatrice et l'étrangeté des ambiances de ses œuvres. Lorsqu'il tourne Django, il a plus de dix réalisations à son actif, dont trois westerns inégaux. Le film sort quelques mois avant Il Buono, il brutto, il cattivo (à noter, à ce propos, que tous les deux se terminent dans un cimetière). Le tournage fut interrompu, faute de moyens, au bout de quelques jours et ne put reprendre que grâce à des capitaux espagnols. Cela ne l'empêchera pas de connaître un joli succès commerciale et international, malgré la concurrence vive : pas moins de soixante-deux westerns sortent cette année... dont trois de Corbucci.
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A la frontière entre l'Arizona et le Mexique, dans un village abandonné par ses habitants à l'exception du propriétaire du saloon (Angel Alvarez) et de cinq prostitués, arrivent un étranger, Django (Franco Nero), et Maria (Loredana Nusciak), une femme dont il vient de sauver la vie en abattant cinq individus qui se préparaient à la brûler vive. Le major Jackson (Eduardo Fajardo) ne tarde pas à se présenter, à deux reprises, pour lui demander des comptes. Mais il doit, à chaque fois, battre en retraite après que ses hommes aient été exterminés par l'inconnu. C'est au tour du général Hugo Rodriguez (José Bodal) d'arriver en ville. Django lui a, dans le passé, sauvé la vie. Il lui propose de s'associer pour voler l'or de Fort Charriba. Voyant ainsi un moyen de financer sa révolution, Rodriguez accepte. Mais, une fois l'opération réussie, il essaie de doubler son partenaire, ce qui n'est pas du goût de celui-ci.
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Naissance d'un personnage "mythique" du western italien (le rôle sera repris une bonne douzaine de fois, notamment par Terence Hill), Django marque aussi une date dans le genre pour ses innovations scénaristiques et esthétiques. Le générique est, à lui seul, une pièce d'anthologie : un homme, vu de dos, marche seul dans un paysage de désolation en traînant derrière lui un cercueil. La tonalité est donnée. Django est, après le personnage qui donne son nom au Minnesota Clay sorti un an auparavant, le second héros martyrisé, au sens propre du terme, par Corbucci. Dans un environnement qui ménage encore quelques conventions, sonores en particulier, le film se situe, dans la mouvance de Leone, en rupture, presque caricaturale, avec le western hollywoodien. Violence sadique et fatalité morbide lui confèrent un réalisme désenchanté et une modernité que beaucoup des films de années 1960 ont perdu. Franco Nero, dans son premier grand rôle, visiblement inspiré par les Joe ou Monco incarnés par Clint Eastwood, est parfaitement à l'aise pour alterner force presque invincible et souffrance rédemptrice.