dimanche 28 mars 2004

Les Chevaliers du ciel



Adaptation télévisée de la célèbre bande dessinée "Les Aventures de Tanguy et Laverdure" créée par Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo paru dans le premier numéro du (bien nommé, en l'occurrence) journal "Pilote", le 29 octobre 1959, Les Chevaliers du ciel ont fait, avec les 39 épisodes de la série, les beaux soirs de la première chaîne de l'O.R.T.F entre septembre 1967 et 1969. Jean-Michel Charlier est déjà, en 1959, un scénariste reconnu, spécialisé dans l'aviation ; il scénarise, en effet, les histoires de l'américain "Buck Danny" depuis 1947 avec Victor Hubinon. Curieusement, quand commence le tournage de la série, Uderzo, trop absorbé par son autre couple de héros, "Asterix et Obelix", cesse sa collaboration avec Charlier. Mais revenons à nos Mirage.
Les Chevaliers du ciel racontent les aventures de deux inséparables amis, frais émoulus de l'école de l'air. Dans le premier épisode, ils arrivent sur la base de Dijon pour y parfaire leur apprentissage sur la dernière merveille de l'industrie aéronautique française, le Mirage III. La psychologie des personnages est simple : Michel Tanguy (Jacques Santi) est sérieux et courageux (un peu moins tête brûlée que son homonyme dessiné), Ernest Laverdure (Christian Marin) est excentrique, vantard, gaffeur et séducteur, mais solide coéquipier et fidèle ami du premier. Leurs missions ont, la plupart du temps, pour objectif de lutter contre un réseau d'espionnage et de terrorisme dirigé par un énigmatique M. X et animé par Max (José Luis de Villalonga). L'influence bondienne a bien parcouru la décennie... même là où on l'attendait le moins !
La série, mise en images par François Villiers (que l'on connaît depuis L'Eau vive de Giono en 1947 et qui dirigea quelques épisodes des Enquêtes du commissaire Maigret avec Jean Richard), grâce au concours du Ministère de la défense, n'a, bien sûr, rien à voir avec le Top Gun de Tony Scott. L'action se résume à quelques images en vol de chasseurs de l'armée française, quelques images d'archives (de la Seconde Guerre mondiale, cela ne fait pas sérieux !*) et quelques gros plans d'acteurs casqués. L' essentiel des quelques vingt-cinq minutes de chaque épisodes se passe en conversations, notamment au cours de nombreux repas (publicité subliminale pour le mess de l'aviation ?). La consommation intensive de cigarettes (voire de cigares), devenue politiquement incorrecte, est la seule défaillance d'un éloge manifeste à l'Armée de l'air française et au patriotisme. Mais la série est clairement marquée par les effets du temps. A noter qu'à partir du troisième épisode, elle devient "feuilletonante" sur deux ou trois épisodes, avec narration-résumé initiale**.
L'interprétation est sympathique à défaut d'être convaincante. Heure de gloire pour Jacques Santi qui passera ensuite derrière la caméra (assistant de Claude Sautet, Robert Enrico, Claude Zidi, Alain Corneau ou Granier-Deferre), l'acteur nous a quitté en 1988. Etape dans la carrière cinématographique du second rôle Christian Marin (La Belle américaine, Les Copains, la série des Gendarme de st-Tropez) avant de se consacrer au théâtre. C'est l'occasion de retrouver des seconds rôles et visages connus du petit et du grand écran : Jacques Richard, acteur "sautetien", Jean Sobieski, le père de Leelee, Muriel Baptiste et Marlène Jobert (dans une minuscule apparition de pleurnicheuse). Une dernière chose encore : Les Chevaliers du ciel n'aurait pas été ce qu'ils ont été sans la chanson du générique de fin chantée par le très populaire Johnny Hallyday, gage de la notoriété de la série.
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*sans compter les séquences identiques utilisées plusieurs fois et les quelques grossières erreurs de continuité ou de techniques aéronautiques.
**l'opus quatorze voit le départ vers la base d'Istres (Centre national d'Essais en Vol) et la disparition du personnage de Nicole ; arrivée à Tahiti pour l'épisode 16 et apparition de Michel Lantier (Victor Lanoux)... Les atolls polynésiens sont plus cinégéniques que les plaines de Bourgogne ! Retour à Istres pour l'épisode 20.

vendredi 26 mars 2004

Génération FLNC


"On ne fonde rien sur la mort d'un homme."


Remarquable documentaire signé en 2002 par Gilles Perez et Samuel Lajus sur ce que l'on a l'habitude d'appeler le "Dossier Corse" ou le "Problème corse", et son acteur permanent, le Front de Libération National Corse (F.L.N.C.). Depuis bientôt trente ans, nous sommes régulièrement interpellés par les médias sur les multiples crises et opérations violentes que connaît, selon les opinions, le plus beau département de France ou l'une des plus belles îles du monde. Mais qui, parmi nous, pourrait réellement répondre aux questions suivantes : pourquoi et comment est né le mouvement nationaliste corse ? Quels étaient ses animateurs et quel projet ambitionnaient-ils ? Quelle est la référence qui a donné son nom au F.L.N.C. ? Quelles étaient les contradictions que développait, en son sein, le Front ? Pour cela, les deux auteurs de ce document unique ont mené un enquête de deux ans, rencontrant quatre-vingt personnes dont les fondateurs et cadres du F.L.N.C. et leurs adversaires politiques, judiciaires et policiers au cours de 130 heures d'entretien, compulsant 70 heures d'archives, dont notamment des inédits de la Cour de sûreté de l'Etat. Le résultat est passionnant pour qui s'intéresse au sujet et particulièrement instructif pour tous.
En retraçant l'histoire du F.L.N.C., dans sa chronologie, le documentaire nous montre, en les expliquant, les efforts et les maladresses d'un pays pour apporter une solution à une demande, à la base totalement légitime, de protection d'un patrimoine social, culturel et économique d'une région singulière, y compris dans son histoire, de la nation française. Il dresse, en même temps, un étonnant, par sa perspective, portrait de la société française de la fin du XXe siècle. Génération FLNC est articulé en deux parties :
1973-1983 : les années romantiques de l'écologique "affaire des boues rouges" qui est le premier catalyseur d'un mécontentement populaire, l'émergence de la figure d'Edmond Simeoni, fondateur de l'Action pour la Renaissance de la Corse, la création du Front le 5 mai 1976 et les premières actions spectaculaires (plasticage d'un Boeing 747 sur l'aéroport d'Ajaccio en septembre 1976, attaque de la base militaire de Solenzara en janvier 1978) jusqu'à la disparition de Guy Orsoni, le frère d'un des chefs du mouvement nationaliste.
1984-1999 : les années de plomb caractérisée par la scission du mouvement, le début des assassinats de militants et une certaine dérive mafieuse, période qui s'achève (provisoirement) avec le meurtre du préfet Erignac et l'accord de Fiumorbu qui scelle la réunification du Front. Le film, qui alterne entretiens et archives, est intelligemment rythmé et on ne ressent aucune longueur que pourrait faire craindre un métrage de plus de deux heures. La photographie de la partie entretien est une réussite : beaucoup de gros plans dans des ombres et lumières contrastées qui nous font presque pénétrer la psychologie des intervenants. La tonalité est tour à tour sérieuse, drôle, dramatique, anecdotique avec, en contrepoint, la diffusion d'archives qui interviennent comme des éléments de narration à part entière et non comme seule illustration. Avec cet efficace travail, nous avons tous les moyens d'être mieux informés sur l'une des pages, toujours en écriture, de l'histoire de France et sur l'un des dossiers d'Etat les plus médiatisés et, paradoxalement, les moins connus de notre pays.

Immortel (ad vitam)


"J'ai peur... J'ai peur de devenir humaine."

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Troisième film d'Eneš Bilalovic, alias Enki Bilal, dont les deux premiers n'avaient pas été réellement concluants. Produit par Charles Gassot (La Cité de la peur, Un Air de famille), le film, tourné en anglais et doté d'un peu plus de 22M€ de budget, est l'un des premiers à utiliser aussi massivement la technique du backlot numérique, courante notamment pour la création de jeux vidéo. Pas particulièrement familier de l'univers narratif et pictural du dessinateur devenu réalisateur, c'est une pure curiosité qui m'a attiré à une projection de Immortel (ad vitam). Je n'en attendais rien. Il m'a plutôt agréablement surpris ; et attiré près d'un million de spectateurs.
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Dans un New York de 2095, à la fois extrêmement futuriste et mythologique, les hommes cohabitent avec les mutants et les dieux. Le pouvoir, absolu, est entre les mains d'un conglomérat médico-eugénique, Eugenics, dont le patron est en campagne électorale. Nous suivons les destins de Nikopol (Thomas Kretschmann), dissident condamné à une longue peine de congélation, libéré par un incident technique et d'Horus (Thomas M. Pollard), divinité à tête de faucon condamné à mort par ses pairs pour rébellion, qui convoite le corps de Nikopol pour laisser un trace de son existence et succombe aux charmes de Jill (Linda Hardy), une mystérieuse créature en mutation aux cheveux bleus.
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Né en Yougoslavie au début des année 1950, dans un pays déjà meurtri par les premiers conflits inter-ethniques, Bilal a créé un monde imaginaire, froid et désespéré, qui finalement ressemble beaucoup, même s'il est symbolisé, à celui de son enfance. Il reprend, ici, la trame de sa trilogie Nikopol ("La Foire aux immortels", "La Femme piège" et "Froid Equateur"), mais en le déplaçant de Paris à New York et en éliminant les guerres tribales qui occupaient une place importante dans la bande dessinée. Avec les membres de l'équipe de la société française d'animation 3D Duran, et doté de moyens financiers à la mesure du projet, le réalisateur compose un décor* unique et intéressant dans lequel évolue un casting mi numérique mi réel. Le récit, un peu inutilement complexe, est, peut-être, moins fort que l'esthétique du film. Les six comédiens sont bien intégrés à cet environnement virtuel. Charlotte Rampling, en doctoresse "humaine, trop humaine", domine cette distribution.
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Mais le couple vedette, Linda Hardy (ex Miss France 1992, dont c'est la seconde participation au cinéma), tout en retenue, bien loin de la prestation hystérique de Leeloo alias Milla Jovovich du Cinquième élément, et Thomas Kretschmann (le capitaine Wilm Hosenfeld du Pianiste), sont également convaincants. Soulignons enfin quelques citations littéraires de Baudelaire et un étrange personnage de John qui fait penser au Jeoffrey de Peyrac de la série mélodramatique Angélique. (modifiée le 24 oct. 04)
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*même s'il doit beaucoup, visuellement, à Blade Runner, Star Wars, Le Cinquième élément... ou encore Zardoz.